Suisse : La sérénité Rochat

RochatParfois, cela fait bizarre de tomber sur un trois-étoiles comme on en faisait naguère. Ici, à Crissier, chez Philippe Rochat au-dessus de Lausanne, rien n’a changé.

Certes, le grand Fredy Girardet est parti il y a quelques années, mais dans cette commune bien rangée, c’est comme s’il ne s’était rien passé ; une sorte d’immobilisme parfait, de posture enviable. Alors que les trois-étoiles jouent au karaoké dans le monde entier, son successeur, Philippe Rochat, a pensé que la gastronomie pouvait être posée, sereine, faite à l’ancienne sans dénier le mouvement. Mais ce dernier reste économe : rien de trop, le geste juste.

Même en salle, le service est à l’unisson. Les maîtres d’hôtel sont parfois comme des hérons posés au bord d’une mare. Ce côté impavide qui ne demande qu’à s’ébrouer, piquer du bec, choper un insecte, une grenouille, un poisson. Ce soir de printemps, la salle est au complet. C’est-à-dire à peine une trentaine de couverts ! Pourtant, elle est animée. Des fortunes épanouies, des couples en préliminaires, des anniversaires : on sent qu’ici, la gourmandise est bien réelle. Elle n’est pas feinte, ni empruntée au code des affaires. En priant le service de ne me servir que les plats commandés (pas d’amuse-bouche qui vous plombent le bec), je pensais hériter comme d’habitude d’une longue pénitence, histoire d’avoir bafoué l’ordre ambiant, le processus (la procession) du chef. Pourtant rien n’est plus agréable que de faire comme cela vous chante. Le chef a le droit de penser qu’il est le roi, mais le client l’est toujours encore.

Ce soir-là, dans les dix minutes arriva l’entrée commandée que la serveuse annonça comme le saint sacrement, une diction aristocratique qui fit se retourner la table voisine : les langoustines royales du Guilvinec. Elles étaient impeccables avec leurs petits artichauts violets et une réduction à base d’hibiscus. Rien à redire, ni à rajouter, encore moins à transformer en loukoum, nem ou lyophilisation des crustacés. Non, juste de belles langoustines d’une fraîcheur épatante et gentiment accompagnées, sans fracas ni maracas.

On se dit alors que la grande cuisine peut être belle lorsqu’elle est juste, même mesurée, presque retenue. Le pigeon au sang était du même acabit, une sorte de rectitude gourmande, une honnêteté savoureuse à l’instar d’une jardinière de petits pois, désarmante de fraîcheur. Les vins au verre ici sont rares et c’est dommage lorsqu’on est seul. Il y eut un chassagne-montrachet servi à température fraîche (parfait !) puis un cabernet-merlot de Provence prévisible et faisant bien son travail.

Parfois, lorsque l’on est si content, il ne faudrait pas ajouter le plat de trop. C’est le sort ingrat des pâtissiers. Quand l’appétit s’est dissipé, ils doivent intervenir. C’est souvent trop tard. Il n’y a pas, contrairement à la légende, un deuxième estomac pour le sucré. C’est pourquoi il faut souvent lire dans leurs compositions le chant désespéré des maudits de la table. Leurs créations sont souvent brandies comme des poignards, des lames, des oriflammes bravant l’emprise du salé. Addition solide (menus à partir de 115 euros), cadre oubliable mais rassurant (une coque sinistre). Souvenir impérissable.

1 rue d’Yverdon 11023 Crissier, Switzerland Tel : +41 021 634 05 05   Web Map

PHOTO/COPYRIGHT/WWW.PHILIPPE.ROCHAT.CH

  • www.romanding.ch
    12 avril 2008 at 0 h 36 min

    La sérénité Rochat

    Alors que les trois-étoiles jouent au karaoké dans le monde entier, chez Philippe Rochat la gastronomie est posée, sereine, faite à l’ancienne sans dénier le mouvement. Mais ce dernier reste économe : rien de trop, le geste juste. François …

  • emmanuelle
    13 avril 2008 at 13 h 38 min

    ah mais voilà que je reprends un peu espoir à vous lire, moi qui me lamentais depuis des années de n’avoir pas goûté la cuisine de Girardet, dont tous les plus de 30 ans sont prompts à vous dire (un brin sadiques) qu’il n’y avait pas, qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura plus de cuisinier de cet ordre. Alors avoir loupé Girardet à deux ou trois ans près, c’est comme d’avoir loupé, Brel à l’Olympia, ca fait partie des blessures terribles de mangeurs. Mais là, avec ce papier, une faille dans la roche sombre du désespoir, laisse entrevoir un faisceau de clarté joyeuse. Il y aurait donc du Girardet dans Rochat. Ahhhh
    J’adore ce papier pour ça mais aussi pour cette comparaison dont j’aurais aimé avoir l’idée : les maîtres d’hôtel sont parfois comme des hérons posés au bord d’une marre. C’est tellement CA. sans parler du dernier paragraphe, génial. Vous êtes très fort. Je le savais mais chaque papier est comme une pierre de plus à l’édifice de mon admiration.

  • Jerome
    13 avril 2008 at 20 h 40 min

    La Suisse s’éveillerait-elle ? Découvert à Paris, mais de vaisseau amiral genevois, le chocolatier Philippe Pascoët, rue Saint-Placide.

  • thierry
    16 avril 2008 at 18 h 24 min

    « Alors que les trois-étoiles jouent au karaoké dans le monde entier, son successeur, Philippe Rochat, a pensé que la gastronomie pouvait être posée, sereine, faite à l’ancienne sans dénier le mouvement »
    Hervé This avait laissé entendre que le constructivisme serait le prochain courant culinaire, je penche plutôt pour le néo-classicisme, illustré par votre excellent article sur Mr Girardet. Il y a aussi en Allemagne une poignée de 3 étoiles avec des prix dérisoires qui savent éviter le rocher du moléculaire..