Yves Camdeborde. « On peut être simple et classieux »

Un café avec lui...

Récemment, pour Air France magazine, j’ai pu deviser avec Yves Camdeborde…

A 52 ans, l’un des pères de la bistronomie, continue de garder son appétit de vie et de faire partager une approche frontale et généreuse de la table. En ouvrants ses « comptoirs » fonctionnant aux tapas et verres de vins, en rénovant  son hôtel (22 chambres) sur le carrefour de l’Odéon, à Paris, il poursuit une carrière plus proche de lui même que de la reconnaissance traditionnelle. A présent, alors qu’il devrait souffler un peu voici, une nouvelle génération (son fils, Baptiste, 27ans, son neveu) venant lui mordre, non sans appétit, les mollets . Yves Camdeborde après s’être penché sur les menus Air France de la Classe Affaires se penche actuellement sur ceux du Premium. Il a, d’autre part, depuis un sérieux gadin,  enfin abandonné son scooter pour rouler plus paisiblement sur un vélo rouge. Yves Camdeborde est  mûr pour ces prochaines années.

Pourquoi, il y a 25 ans,  avoir quitté la voix royale des palaces pour ouvrir le bistrot la Régalade?

C’est pourtant là où j’ai tout appris avec Christian Constant, au Crillon. J’ai eu la chance d’y apprendre le respect de mon métier. J’y ai appris l’exigence aussi bien pour le lièvre à la royale que pour l’oeuf mayo. Mais humainement, je me sentais comme un acteur. Certes à 200% , mais je savais que ce n’était  pas moi. Je voulais ouvrir quelque chose qui me ressemble: façon mousquetaire, une auberge !

Avec votre hôtel, y parvenez vous enfin ?

C’est exactement cela. Après douze années de Régalade avec la folie bistronomie, j’ai voulu passer à un autre état d’esprit, ouvrir un hôtel, c’est être avec mes clients du diner au petit déjeuner, les garder sous mon aile, se sourire. C’est passer du temps avec eux, leur faire sentir ma philosophie, partager ce que je ressens. J’essaie en fait de faire ce que je cherche constamment à l’étranger. Ne pas être considéré comme un client, mais comme une personne.

Ressentez-vous un fossé entre la gastronomie des guides et des classement et celle du réel?

Pour tout dire, je me sens plus du côté de l’artisan que celle de l’artiste. Je ne sens pas cette nécessité d’époustoufler, ce besoin de démonstration avec lustres et architectes. Celle-là même qui nous donne des lieux froids, rigides, même si l’assiette est  pertinente. Mon métier reste le même depuis cent ans: embrasser les gens, leur faire plaisir. On peut être simple et classieux.

Vous êtes maintenant à la tête de quatre établissements, ne perd-t-on son âme à se démultiplier ainsi?

C’est effectivement le risque. Mais je pense que je m’arrêterai là, car je tiens à garder la même philosophie de l’existence. Mais c’est sans compter sur la vie, la poussée des jeunes, l’excitation des projets, un entourage stimulant. Entre l’envie de vouloir souffler et celui de partager, c’est parfois compliqué !

Avec vos comptoirs, est-on déjà dans la gastronomie de ces prochaines années, fonctionnant en petites séquences, sans code, ni menu imposé?

Ils ressemblent à ces nouvelles générations qui ne supportent plus les contraintes des restaurants.  Ils veulent pouvoir manger ce qu’ils veulent, quand ils veulent, se lever de table, sortir fumer une cigarette, passer un coup de fil, revenir, se marrer, prendre du un dessert, des frites. Ils ont une totale liberté. Tout en même temps , ils restent à l’écoute et ne sont pas insensibles aux nouvelles saveurs. Mine de rien, je renouvelle totalement ma clientèle !

La télévision a-t-elle fait du bien à votre métier, ou l’a t  elle enfermé dans une caricature lacrymale et survoltée ?

C’est 50 /50. Cela a franchement revalorisé les métiers manuels. Notre métier s’est ouvert à d’autres milieux. Maintenant, c’est fréquent que des enfants de médecins, d’avocats, entrent dans le métier et fassent monter le niveau social. D’un autre côté, ils découvrent un métier fait certes de 20% de création, mais 80% de production. Eplucher 10 kilos de carotte, préparer 100 kilos de saint jacques; se lever à 6h du matin, travailler les mains dans le froid,  c’est moralement et physiquement violent.

Quel est votre geste préféré en cuisine ?

Poêler et arroser. Vous êtes en direct avec le plus difficile de la cuisson, en surveillance avec le produit. Vous le cajolez lui redonnez vie. Ou vous le perdez !

Existe-t-il un produit qui vous résiste ?

Le caviar. Je ne sais pas quoi en faire, à part déposer une boite au milieu de la table. Pour Noël, j’ai essayé plein de fois, je n’y arrive toujours  pas !

Un produit qui vous rend barbare?

La piballe, c’est  un plat d’enfance. Je suis capable d’en manger deux-trois kilos !

Dans votre carte, y a t-il un plat incompris que vous protégez comme un enfant fragile?

Oui ! le pied de veau avec céleri boule au mascarpone et moutarde de Meaux. Je trouve cela exceptionnel, mais les clients n’embrayent pas. Pas grave, je le maintiens !

Que signifie pour vous avoir les pieds sur terre?

Savoir d’où l’on vient et où l’on va.

Pourquoi les chefs aiment tant l’époque de la neige, de l’hiver ?

Parce que jamais les produits ne sont aussi vivants comme les saint jacques qui arrivent le coeur battant. Il y a les champignons, la truffe et aussi les gibiers. C’est souvent là où l’on marque la différence, car c’est toute une connaissance, un savoir faire. Tout notre métier ressort alors !