Un petit moment avec Nicolai Nørregaard…

Nicolai  Nørregard, habiter une île, c’est penser différemment

Il y a peu, pour AirFrance Magazine, j’ai pu m’entretenir avec ce chef danois…

Si la cuisine nordique (ici, nous sommes au Danemark) a autant d’impact sur la gastronomie mondiale, c’est sans doute parce qu’elle a su rester fidèle à elle-même. Elle ne s’est pas « francisée », comme certaines qui ont failli perdre leur âme à l’instar de l’Italie dans les années 80. La cuisine de Nicolai Nørregard, 40 ans, va ailleurs. Presque dans un recul total, une dimension druidique, minérale. Pourquoi ? Parce qu’il revendique ses origines: son île natale, Bornholm, située à 180 km au large des côtes danoises, au milieu de la mer Baltique. Cette île est un véritable garde-manger. À tel point que Nicolai, cultive, soigne, cueille, conserve pour orienter ses créations. D’où le nom de ses deux restaurants Kadeau, ce qui signifie en finlandais: « témoigner le respect ». Tout est dit pour cette cuisine d’épure et de concentrations de saveurs (poisson fumé/lichens frits/ biscuits de genièvre), aux traits nets,  comme si le froid donnait du grain à la peau, de la précision au regard.

Quelle genre de relation entretiennent la gastronomie et la mode ?

On est assez proche finalement puisque l’on partage beaucoup de points communs. Les chefs sont eux aussi des créateurs, parfois également des personnalités fortes. Pour autant, je ne suis pas inspiré directement par cet univers, mais je m’y retrouve régulièrement dans la création, le graphisme, le choix des couleurs.

Y-a-t-il pour autant d’autres domaines de l’art où vous puisez de l’énergie ?

La musique, l’art, un film  m’activent les sens et en cela, je pense qu’ils participent à ma cuisine. Ils nourrissent mes arrières-pensées, mon subconscient. 

Votre cuisine est fondamentalement inspirée par les produits locaux, faites vous appel à des produits venant d’ailleurs ?

C’est une question de philosophie personnelle. La mienne participe des produits locaux, c’est l’axe principal de ma cuisine. Mais je ne reste pas rigide pour autant, je suis pragmatique. J’aime bien  utiliser des sauces du Japon. Mais vous savez, habiter une île, c’est penser différemment. 

Souvent les récompenses, comme vos étoiles au Michelin, figent une cuisine, comment avez-vous ressenti ces distinctions ?

Lorsque nous avons eu la première étoile à Copenhague, ce fut un gros impact sur la clientèle. Les réservations se sont envolées. Mais notre ambition a toujours existé, notre motivation aussi, cela nous a juste conforté dans nos choix. Lorsque la deuxième étoile est arrivée en 2018,  nous avons ressenti un écho à notre démarche. On est juste plus exigent sur les vins et les produits. Mais nous avons gardé notre caractère à la fois détendu et scrupuleux.

Qu’est-ce qui vous déstabilise ?

Probablement toutes les choses qui m’écartent de la cuisine, la paperasserie, les activités extérieures. Vous savez Kadeau c’est non seulement deux restaurants sur l’île et Copenhague, mais c’est aussi d’autres petits restaurants, dont un fast food,  une fabrique de jus, de la production de légumes, un hôtel ! Donc parfois, je me sens frustré en me dispersant , j’ai l’impression de perdre ma créativité…

Triez-vous dans les facilités de la modernité?

Disons que cuire de la viande ou des poissons dans des sachets au bain-marie, cela ne m’inspire pas tant que ça. Je ne condamne pas, ni ne refuse, mais disons que je préfère cuire une viande au feu de bois, surveiller la cuisson de mon poisson sur la poêle. j’adore cuisiner, c’est mon plaisir.

Existe-t-il des produits qui vous résistent?

Je ne cuisine pas souvent le foie gras parce que ce n’est pas mon registre; ni vraiment les asperges, les pommes des autres pays parce qu’ici j’ai tout ce qu’il me faut. En revanche, lorsque je voyage, j’adore goûter les produits locaux, comme les asperges dans le sud de la France. De plus, faire voyager les produits par avion par bateau, je trouve cela problématique.

Pensez-vous que le menu dégustation unique va un jour cessé?

C’est vrai que j’aime bien choisir au restaurant, et il y a des menus dégustation qui sont franchement une vraie tannée. Mais si vous voulez bien connaitre un restaurant, c’est bien de voir l’ensemble de son oeuvre. C’est un peu comme une série à la télévision, si vous loupez un ou deux épisodes, vous ne pouvez pas tout piger l’histoire.

Quel est votre geste favori?

J’adore couper, trancher, émincer. J’aime les couteaux notamment du Japon et je regrette que ceux de mon île ne soient pas aussi bons.

Y-a-t-il des tendances que vous n’aimez pas dans la cuisine ?

Il y a beaucoup de chefs qui se prennent trop au sérieux, cela m’ennuie. Et puis, il y a toutes ces listes, ces influenceurs… Je comprends fort bien cet engouement , mais cela oblige les chefs, moi le premier, à voyager, se montrer, faire le malin. C’est un peu le jeu actuellement, alors que notre vraie place est en cuisine. 

Quelle est votre saison préférée ?

L’hiver ! L’été, il y a cette belle obligation de cuisiner tout ce qui est frais; c’est presque un stress. Alors qu’en hiver, on peut prendre son temps. C’est la cuisine de mon île: avec les conserves, les fermentations. J’adore l’hiver, son calme et le temps qu’il nous offre.