Pour le Figaro quotidien, j'ai eu la chance d'aller faire un tour à Roanne, dans une adresse célèbre… Voici quelques mots sur cette escapade princière…
On aurait tort de penser que toutes les grandes maisons sont intimidantes. Elles le sont régulièrement avec leurs cérémoniaux anxiogènes, la gestuelle pontifiante, le verbe haut perché. Il en est d’autres comme la maison Troigros, à Roanne, qui a compris qu’il ne fallait surtout pas jouer sur ce registre. Elle sait trop bien qu’elle n’est pas située à Paris, au sommet de la Tour Eiffel, face à Notre Dame. Non, il faut aller quérir cette adresse. Prendre ces fameux TER qui nous enchantent. Le nôtre était plein à ras bord. Des gens assis par terre, tous serrés comme des sardines, des remarques aigres-douces et pendant ces 90 minutes de trajet, le paysage jouait à saute moutons, glissait quelques tunnels, jonglait avec les bosquets.
Puis Roanne apparut . Cette gare, on l’imagine comme celle de Perpignan, consacrée par Dali, comme centre du monde. Ici, les façades furent naguère peintes en rose saumonée, en hommage au fameux plats des frères Troisgros, le saumon à l’oseille. La couleur a changé (elle est ocre jaune à présent, style pavé à la moutarde : c’est moins bien), mais le restaurant trois étoiles est toujours en place.
Solide, un peu esseulé, posté comme une vigile. On ne sait jamais su quel pied danser dans ces maisons qui eurent un passé, qui louvoient face au destin. Michel, le fils de Pierre, a repris l’affaire avec sa femme Marie-Pierre et j’imagine qu’on n’a pas dû leur faire de cadeaux en glissant l’adresse dans le siècle nouveau. Aujourd’hui, quelques anciens grincent face à cette modernité, comme s’il y avait usurpation. Je n’ai jamais compris ce procès. C’est surtout dommage car ce soir-là, il y avait en cette maison, une sérénité gourmande, des tablées joyeuses. Comme une flambée bienheureuse. Par chance, la carte a de la mémoire et garde encore des recettes nouvelles et de jadis, celles de Jean et Pierre (1965-1983) rappelant que la modernité est ici une tradition : des coquilles saint jacques Pierre Boulez et leur feuilletage comme une capeline et puis, ce fameux saumon à l’oseille incroyablement vivace dans ses acidités poussées comme un ut. Le reste du dîner fut plus que plaisant avec le tronçon de turbot poché dans sa nage de bergamote fraîche (pas assez chaud cependant) pour finir sur une galette aux fraises chaudes plutôt insignifiantes. On se demande alors si l’on est pas sot d’avoir mal choisi ou si le pâtissier était amoureux. Qu’importe, la maison Troisgros a ce genre de cuir épais qui permet au souvenir de ne plier que les bonnes impressions ; c’est sans doute sa force tellurique, ses racines si profondes : le temps passe et le plaisir reste. Comptez 160€ par personne. On peut dormir sur place (dans une chambre s’entend) dans un luxueux Relais & Châteaux (04.77.71.66.97 ; www.troisgros.com; à partir de 190€). Si vous avez des finances plus frêles, le Grand Hôtel, fait plus que l’affaire (04.77.71.48.82 ; à partir de 70€. On peut également rejoindre la gare en pyjama.
a.o.
15 février 2011 at 8 h 05 minEnfin, enfin voilà une chronique sur mon adresse préférée!
Je commençais à craindre cette Maison ne soit victime de l’adage « nul n’est prophète en son pays ».
Michel Troisgros est un homme de (bon) goût, humble et fort sympathique qui a su préserver le caractère familial de son établissement.
Cosmopolite certes, mais c’est un Chef qui officie encore derrière les fourneaux.
Yvan
15 février 2011 at 9 h 54 minJe trouve que la force de Michel Troisgros est d’avoir eu suffisamment de caractère pour imposer sa propre cuisine, pleine d’influences italiennes et japonaises certes, mais qui s’affranchit du côté musée momifié Tourdargentesque que pourrait être Troisgros aujourd’hui. Alors d’accord pour les plats de mémoire, mais quel dommage de n’avoir goûté que si peu de la carte de Michel. Par contre, j’approuve les critiques pour les desserts…
Fulgurances
15 février 2011 at 10 h 18 minMichel Troisgros, je ne connais pas encore sa cuisine. Mais j’ai vu l’homme s’agiter dans le documentaire de Paul Lacoste, « L’invention de la cuisine », me faire rire au cours d’une création d’un bouillon dashi? J’ai aussi beaucoup entendu parler de lui, de sa manière de transmettre à travers son ancien second Ludovic Poulzegues. Ce jeune homme bouleversé par l’acidité, cuisinier plus que tout, vient cuisiner à Paris lundi 28 février au cours des Lundis de Fulgurances…
isabelle
15 février 2011 at 15 h 08 minVoilà que me revient le souvenir ému d’une soirée à Roanne, c’est vrai qu’on était bien, là, à tout goûter et saucer notre assiette pour n’en rien perdre sous l’œil bienveillant du maître d’hôtel. Je me souviens qu’un homme âgé dînait seul, blaguant avec le sommelier, le garçon, on l’enviait presque.
Il y a ici un goût de l’aventure, une vraie générosité gourmande. Et nos enfants nous réclament la Brasserie (juste à côté, délicieuse et abordable) chaque fois que nous passons par là…