Ce n’est jamais évident de prendre la suite d’un grand chef. Les habits sont trop vastes, les râleurs n’arrêtent pas de pleurnicher : ils réclament le bon vieux temps, leur jeunesse et plus de crème. On ne s’en sort pas. Leur ingratitude devient un toxique. Il faut savoir alors tourner la page, sans faire un bruit. Lentement. Ne pas tout jeter au feu, ni tout garder dans un mausolée. Bien souvent les successeurs vont bien trop vite, gratter les initiales des couverts, imposer leur présent encore frêle, l’assiette carrée et les orchidées. Lorsque Hervé Lussault a ainsi pris la suite de Charles Barrier, à Tours, la partie n’était pas facile, l’héritage vraiment lourd.
Et lorsque le grand Charles a passé l’arme à gauche, on s’est dit que la maison aurait du mal à surmonter ce choc. Mais il faut croire que les vertueux sont récompensés. Rarement tout de suite, mais avec le temps. Ce jeune chef déjà auréolé d’un étoile, a eu la bonne idée de faire un menu hommage à Charles Barrier (75 euros). On retrouve les grands classiques, un style inimitable fait de douceur, de haut classicisme et de contrepoints agiles, frondeurs comme avec cette matelote d’anguille aux pruneaux et chinon, ou encore la fricassé de volaille au vinaigre de framboise (au choix avec un filet de sandre de Loire cuit en peau sauce verjutée et beurre blanc, ou encore le pied de cochon farci au foie gras, truffes et ris de veau !).
On sourit presque au-dessus de ces plats tant ils appartiennent à un autre temps ; celui-ci était sans doute plus généreux, crémé mais tout aussi déluré que le notre car Hervé Lussault sait manier son propre registre avec cette même coloration, cette ouverture d’esprit comme avec la géline de Touraine plaisamment truffée, les saint jacques. On se dit alors que cette maison poursuit ce maillage intelligent entre la cuisine classique de répertoire et celle d’aujourd’hui. Confronter ces deux époques tourne ni à l’avantage de l’un , ni de l’autre. Elle exprime juste l’intelligence de savoir garder les leçons du passé tout en regardant devant ce qu’il se passe. Salle un peu gourmée avec le grand service provincial, le sommelier savant et les clients impressionnés. Mais l’atmosphère reste sereine, gourmande. Le menu a été prolongé jusqu’à la fin du mois d’Avril, mais si vous êtes nombreux à insister, peut être que le jeune chef gardera cet hommage touchant et réussi. Il signerait ainsi une grandeur d’âme qui doit être la sienne.
Charles Barrier- Hervé Lussault, 101, avenue de la Tranchée, (02.47.54.20.39).
francoise
7 avril 2010 at 9 h 05 minOh…encore de « la bave » dans les assiettes…J’ai tellement de mal avec ça !
lilinparis
26 avril 2010 at 13 h 37 minMerci pour cet article consacré à Hervé Lussault et son restaurant Charles Barrier à Tours. C’est un chef, le seul chef étoilé français d’origine laotienne, que je connais – ses cousins sont des amis. Nous avons dîné deux fois dans son restaurant et avons eu la chance de visiter les cuisines et les caves à minuit et demi passé. Hervé Lussault nous a notamment expliqué comment il travaillait : le pain frais fait maison dans un grand four traditionnel en pierre, la recette du lièvre à la royale etc. Fascinant pour les gastronomes amateurs curieux. C’est un passionné qui a tout abandonné pour aller à la rencontre de la cuisine et particulièrement de la grande gastronomie française. Il a reçu une solide formation et a travaillé assez longtemps avec Alain Senderens. Certes, sa cuisine reste sur des bases traditionnelles et certains pourraient lui reprocher son manque d’originalité et de créativité. Cependant, l’exécution est talentueuse, méticuleuse, élégante, aérienne, savoureuse, le tout couronné par la discrétion, la générosité, l’humilité et la gentillesse qui caractérisent Hervé Lussault. Merci Hervé de continuer à nous faire partager ta passion de la gastronomie française.