le domaine de Murtoli et sa prospérité cachée
L'abord du domaine de Murtoli n'est pas chose aisée. Lorsque vous avez appareillé à l'aurore irisée, les yeux attendent le paradis comme la pomme une flèche. De la mer, le rivage est hypnotique dans ses anses et ses criques ; une sorte de ritournelle magique et parfumée. Les tours se succèdent. Elles ponctuent le paysage. Puis la plage lance sa virgule. Les points sont en suspension. Bien entendu, le domaine de Murtoli ne se situe pas dans l'anse de Murtoli. Ce serait trop simple. Il est à côté, dans la baie de Roccapina. D'ailleurs, notre bateau, un Targa 49 conduit gaillardement par Alfredo Levi et Enzo Gramsci, le détecteur de CAC 40, a l'aiguille dans le bas du cadran.
Au téléphone, on répond avec la facilité des gens qui savent où ils sont.
« C'est à gauche, près de la tour ! »Rien. Une autre personne au téléphone : « C'est après, derrière. » Une heure plus tard, les vibreurs du bateau sont dans le rouge, nous y sommes. Un petit canot vient nous chercher pour le déjeuner. Deux jeunes hommes de blanc vêtus appartiennent à l'« irradiance » du lieu. Ils semblent être un supplément détachable de Voici. Y a-t-il des stars à venir jusque-là, des personnalités ? On voudrait alors entendre une mélopée imaginaire : Albert Camus, John Lennon, Jorge Amado, Knut Hamsun. Hélas, ils doivent être ailleurs. Mais, en revanche, notre production nationale résonne haut dans la bouche de nos transbordeurs : « Bien sûr ! Kad Merad ! Patrick Timsit ! Et même Laurent Boyer ! M. Ardisson. » Il y a quelques jours encore, Thomas Langmann réunissait ici, pour son mariage avec Céline Bosquet, plus de 250 personnes dont Carole Bouquet, Nicolas Bedos, autour d'une bouillabaisse géante.
Mais l'heure n'est pas à la distraction. Sous vos pieds, déjà, le sable se love, ponce et gratte. Le bonheur de Murtoli, vous le tenez sans doute sous l'épiderme de vos papattes. Quelque chose de simple, brut et si chaud. Ensuite, surtout, écarquillez bien les yeux. Vous entrez dans un paradis estampillé, un cénacle, une coquille d'or, un best of. Le domaine de Murtoli, c'est 2 000 hectares, six kilomètres de plages privatisées, une douzaine de bergeries aménagées avec une distinction extraite des revues de décoration. Grosso modo, c'est impossible de décrocher une réservation. Les heureux et prospères résidents (comptez, en août, 31 000 euros la semaine pour une maison de 12 personnes) tombent métronomiquement dans les pommes. Et, à peine relevés, ils réservent l'année suivante. Pour le restaurant, itou, pas la peine d'appeler, on vous fera comprendre avec cette désolation universellement répandue du
« so, sorry ». « Nous sommes désolés(mettre un accent faussement navré), c'est impossible. »Voilà pourquoi nous sommes ici. Et vous au-dessus de ces lignes.
Le chant inquiet de la restauration
Le restaurant est certainement la plus belle salle à manger au monde. Imaginez un petit maquis d'arbousiers, d'oliviers sauvages. Les tables sont en bois flotté, éparpillées au gré du sable, des talus. C'est un peu Robinson Crusoé revisité par Dior, l'effet est exquis, la clientèle tout autant. Ici, c'est spécial, tout de même. On vous regarde, mais on ne vous salue pas. Nous sommes donc bien en France, pas de doute. Beaux visages intelligents, enfants en cheveux, commerçants prospères, VIIe arrondissement au parler vif et précis ; la bande-son est de tout premier ordre : un murmure mondain au clapotis lent et civilisé. Les nourritures, on l'imagine, sont au diapason. La salade de ventrèche de thon est parfaite dans son fouillis négligé ; les produits excellents, c'est tout juste si l'asperge ne sort pas de chez Louboutin. Les spaghettisalle vongole arrivent dans une immense cocotte de fonte Staub qu'un jeune homme peine à hisser jusqu'à votre table. On se dit alors que le chef s'est tiré une olive dans le pied en procédant de la sorte. La cuisson poursuit son action, l'allant du plat (le muscle de la cuisine réussie) en prend pour son grade, l'humidité s'installe, le sens expire. Non point que l'ensemble soit mauvais (manquerait plus que cela, à 30 euros), mais il reste français. Demeurent les saveurs parfaites et cette bonne humeur zippée sur le visage d'un service juvénile demandant constamment si tout va bien, si ça va, ou si ça a été : le chant inquiet de la restauration, le plaisir passant ici du présent au passé. Ça ira.
opium
30 août 2013 at 13 h 50 minTous ces people à l’étal, ce… ce bonheur qui fuse et m’envahit, c’est trop, c’est le syndrome de Stendhal, je vais défaillir.
N’empêche, il y a comme qui dirait des personnalités qui manquent à l’appel. Hummm, j’ai la mémoire qui flanche, j’me rappelle plus très bien…
De deux choses l’une, ou le petit personnel est frappé d’amnésie subite, ou bien il est rompu aux turpitudes diverses du taulier et de son entourage. Piqûre de rappel : http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/08/26/les-bergeries-de-la-sarkozie_1563886_823448.html
(To the happy few – or not so happy 😉