Summer boat trip : filons en Ligurie, s’il vous plait…

À San Fruttuoso, La Cantina et son snobisme simili pauvre
It13, SantaM, Cantinela, plages parasols

Nous étions à peine sortis des gnocchis à la poutargue de Porto Ercole (Toscane) que l'appel du large fut impérieux. Nous devions mettre le cap au nord, faire rugir les deux moteurs de 430 chevaux du Botnia Targa 44, piloté par deux musclés : Alfredo Levi et Enzo Gramsci. La table est ainsi. Elle émet des ondes que seuls des ventres affamés peuvent capter. On peut tout traverser : les Alpes, le périphérique, le refus d'une fiancée. Ou la Méditerranée. Sur les vaguelettes de vingt centimètres, lorsqu'on colle l'oreille au sol du bateau, c'est comme entendre l'histoire de l'humanité. Elle murmure mille légendes. Elle ruisselle sans relâche. C'est pour cela sans doute que les marins ont des visages de rescapés. Ils ont traversé les strates de l'humanité, l'écume des jours.
Pourquoi donc Santa Margherita ? C'est un mythe tenace de la jet-set internationale, un pèlerinage aux subtilités précises. Le cinéaste Wes Anderson y a ses habitudes. On imagine que sa 
Vie aquatique (2004) y a plongé l'orteil (ainsi que sur l'île de Ponza). Le snobisme fonctionne parfois ainsi. Il doit dorénavant ruser. Ses Mecques ont été investies (Marbella, Mykonos, Ibiza), le tourisme de masse déferle en autocars, navires monstrueux sur la moindre piazzetta côtière. « Planquons-nous donc », semble chuchoter cette pincée d'hédonistes fortunés. Ils procèdent du reste comme le faisaient les moines, naguère, lorsqu'ils s'installaient dans des paradis reclus. Le meilleur endroit, loin du monde, un ciel bleu, trois tomates et un oratoire. Ils pouvaient alors commencer à dialoguer avec les dieux.
It13, Santa M, Cantinella, poulpe

La côte, aux abords de Gênes, est à nouveau magnifique, notamment à partir des Cinque Terre et ses étagements admirés par l'Unesco. Des aplombs sauvages sur lesquels émergent des demeures aristocrates, quelques ports et nous voici longeant la muraille divine. Tout à coup, au détour d'un déhanchement de rocaille, apparaît, comme un miracle, un monastère (Xe siècle) dessiné à la ligne claire, telle une bande dessinée. La crique de San Fruttuoso est admirable de transparence. Quelques yachts plongent l'ancre, la barquette du restaurant s'approche, un apollon nous demande la réservation. Nous allons pouvoir goûter aux fameuses trofie au pesto. La plage est croquignolesque. La superficie d'une station-service. Y est amassé le traditionnel italien : les nonneet papés, la peau caramélisée par le soleil, le sourire perpétuel, la bonté du regard. En léger retrait, de solides madriers hachent la crique ; dessus, des embarcations bâchées.
Dans un coin, le restaurant La Cantina avec ses parasols jaune bouton d'or, la carte du jour et les
grissini à la verticale. On cherche le people comme un trèfle à quatre feuilles. Aujourd'hui, la pêche est maigre, mais pas inintéressante. Un couple d'universitaires en préliminaires, un mannequin en cheveux d'or suivi d'un bellâtre sans oscillation, un couple taïwanais avec un fixeur italien. Elle, adorablement vacante ; lui, dodu, méché et veule. Les codes du luxe se sont évaporés, ils ont migré. Quasiment plus de traces de Chanel et Louis Vuitton. Il faut gratter ailleurs, remonter la silhouette, piéger le détail. Tiens, une montre Cartier baignoire vintage 1970 ! Et nos pâtes ? ! Drues, vives, compactes avec un bon allant. Rien de sublime, juste des nourritures de plages, la cucina povera, avec son quartier de citron ponctuant comme une virgule.
Déçus ? Bien sûr que non, il y a sur notre passeport imaginaire cet admirable déjeuner dans une crique de rêve, l'approche fantasmée d'un pesto superbe dans son côté lourd comme les pierres de la plage (sa force, c'est sans doute l'ajout de pommes de terre et de haricots verts). De retour au port de Santa Margherita, Giuseppe, le responsable des pontons, nous demande ce que l'on fabrique ici. Le pesto. Le pesto ? Ses yeux rétrécis par le cagnard deviennent encore plus concis. 
« Le pesto ? jaillit-il, Il faut goûter le mien ! » Son secret ? « Il n'y en a pas : huile d'olive de Ligurie, pignons et basilic. Ah si, il faut qu'il vienne de Pra. Les feuilles sont petites, concentrées, c'est ça mon secret ! Pra ! Pra !! Capisce ? ! Où allez-vous dîner, ce soir ? »
 
It13, Santa M, Pino salle

Au restaurant Pini. Bon choix. Restaurant propret avec la patronne cahotant de table en table. Clientèle épatante avec deux dames sur le retour en laque bouffante, les grands-parents et le petit-fils, la famille de bric et de broc et, bien sûr, la tablée de Français neurasthéniques et regardants, à la médiocrité vexée. Le pesto est en pleine forme. Il s'avère être splendide dans sa matière, pas trop lisse, laissant deviner le pignon, le brin de feuille. Il marque bien les pâtes, les crante presque, soutient le plat tout en le servant. L'assistance ronronne, le vin est frais. L'Italie nous donne sa deuxième douce leçon : l'acceptation du plaisir.