Summer boat trip: et maintenant Naples !

La soirée peut se laisser treuiller au vin blanc glacé. Ce soir, vous avez réservé à La Cicciotto, sur une corniche de l'ouest de la ville. Nos deux compères, Alfredo Levi et Enzo Gramsci, ont la peau tabac et la blague vive. Les serveurs continuent leur conversation, tapent une clope, respirent avant le rush. Soudain, un mariage dévale les escaliers. Quelle félicité ! Les femmes sont belles et le rappellent ; les hommes sont engoncés et gênés sous leurs cheveux plaqués. Les photographes arrosent de leurs flashs les carnations de l'été. On lève des toasts vers ce qui nous frôle à l'instant précis : le bonheur, sans aucun doute, arrivant une nouvelle fois à la bonne heure. À notre table, comme d'habitude, à nos mines réjouies, on soupèse la dimension pigeonnesque du client. On nous inonde d'antipasti pendant qu'un coquin arrive avec une langouste toute fraîche. Par chance, cette dernière, de ses petites pattes gesticulantes, nous adresse comme un message à l'insu des grigous. « Dites-leur non, semble-t-elle dire,laissez-moi encore en vie, ils vont vous plomber. » Ce sera donc non. Et oui à un ravage d'iode et de bonne santé : poulpes, friture, calamars, gamberi, langoustines… La clientèle arrive lentement, alternant notables au maintien admirable, amoureux en accélération, touristes hébétés agrippant depuis le matin leurs sacs comme les reliques de sainte Thérèse de Lisieux. Le soir peut tomber, caresser de sa chaleur. Le lieu prête à tous les serments. Il romance comme un ruisseau. Chaque fenêtre, chaque balcon réclame une épaule compatissante. Non loin d'ici, Caruso lançait son chant délicieusement déchirant :

Qui dove il mare luccica e tira forte il vento (Ici où luit la mer et souffle fort le vent)/Sulla vecchia terrazza davanti al golfo di Surriento (Sur une vieille terrasse donnant sur le golfe de Sorrente)/Un uomo abbraccia una ragazza dopo che aveva pianto (Un homme embrasse une fille après qu'elle eût pleuré)/Poi si schiarisce la voie e ricomincia il canto (Puis il s'éclaircit la voix et recommence son chant )
Le voyage pouvait faire sa révérence, retirer la mer et ses dents éclatantes, laisser mille messages sur la peau et la tête encore retentissante : apprendre à respirer, laisser la chair vivre et palper, accepter le plaisir. Repousser les philosophies amères, rayonner d'humilité et s'inspirer de l'orgueil de la mer. Découvrir que dans le voyage, il est un voyageur clandestin s'émerveillant d'un frisson : soi-même.