Södermalm, cette Suède aux somptueux mutismes

Il y a quelques temps, j’ai pu aller faire un tour en Suède pour le magazine Dim Dam Dom

Ce quartier de Stockholm propose une approche douce et vertueuse de la modernité, avec un penchant pour les ellipses, l’allusif… pour mieux abattre ses arguments.

Qu’est-ce qui est le plus impressionnant dans l’Arlanda Express depuis l’aéroport de Stockholm? Le design magnifique poussé au moindre soupir ? Son nez jaune ?L’intensité lumineuse des coffres à bagage s’accroissant à l’approche de la gare? Les awards glanés par brassées, le grand prix du musée d’architecture et de design de Chicago?

Non. Le silence.

Au Il Caffe situé au coeur de SoFo (Söder om Folkungagatan  ), qu’y-a-t-il de plus saisissant ? Les sandwiches de charcuterie, les « bulle » à la cannelle et à la cardamome? L’excellent café? 

Non. Le silence de l’assistance.

On se croirait dans une salle d’école. Il manque une maitresse, un coin pour les punis. Mais le reste est là. Tout le monde est en couple. Du moins avec un MacBook Air. Dans leur solitude à coque argentée, les clients ont besoin d’être ensemble. Une oreillette blanche les relie au monde virtuel, au cas où, par malheur, on leur  adresserait la parole. Au sol, les carrés blancs et bistres témoignent d’une activité passée, une laiterie. Déjà, on pasteurisait.

Si cette ville nous attire autant, c’est qu’elle contient ce qui nous fait parfois peur: la perfection, le calme, le minimalisme vertueux portant même ici un nom, le « lagom », « juste ce qu’il faut ». Et le silence constamment dessiné.

Mais il y a bien un moment où les coutures craquent, une tâche se dépose. De la vie surgit. IL ne faudra pas attendre bien longtemps. Dans Södermalm, l’une des 14 îles de l’archipel de Stockholm, et plus précisément dans SoFo, concept inventé par d’habiles commerçants, le soir venu, on n’ entend pas le brame des cerfs, mais plutôt la joie relâchée d’une population mélangeant ses 140 nationalités. Au Punk Royale, l’ambiance est démente. On n’y voit pas à 50 centimètres. Une machine enfume la clientèle abasourdie par la musique, les verres d’alcools et les 15 séquences d’un menu infernal. Non loin de là, au Woodstockholm, c’est un peu plus chic. Les nourritures travaillent la mayonnaise et l’estompé, mais on affiche facile les 95 décibels lorsqu’on la blague est bien bonne et le verre de bière blonde déjà vide. Au Pelikan, c’est encore plus joyeux, la salle est somptueuse dans ses volumes art déco, le bar vous fera sangloter avec son chic stylé, et les boulettes de viande font un tabac.

Ne foncez pas non plus à Charles-de-Gaulle Terminal 2F pour rejoindre la capitale suédoise, Sofo ce n’est pas Soho (South of Houston Street). Dès que vous sortez de son territoire -à peine un carré de dix rues sur dix rues-, vous entrez dans une musique répétitive de blocks d’immeubles aux rues traversées de trottinettes et leurs I majuscules. Car le hipster ici éclot. Ce n’est plus le dissident capillaire à barbe de druide. Non, il mute. Civilise sa barbe, la taille chez les barbiers proliférant jusque dans les halls d’hôtel (Scandic Malmem). C’est devenu un bon garçon, à qui on peut même demander son prénom. Parfois, il se reproduit, pousse la poussette. Ou alors, grande mode, tracte en laisse un chien (le bulldog cartonne) et sa propre lassitude.

En fait, Södermalm est une leçon de voyage. Décélérer tout d’abord, marcher, respirer dans les petits squares. Entrer dans ces visages aux abords si réticents. Chercher sur les galets ronds des rues anciennes le message d’autrefois, sentir la pierre de partout (« Södermalm », c’est la montagne de pierre), et donc, sa dimension tellurique, cette pierre noire, comme un volcan froid qui tiendrait les habitants en respect. Son nez parle le silex, la pierre à feu, le crayon de bois. Il se mélange à l’iode de la mer, les tilleuls, les bouleaux, le café servi chaud à toute heure. Comme s’il fallait se battre contre le temps et ses arythmies, avec ce soleil qui s’en va et ne reviendra que si tard. Du coup, la ville s’est construit une coque, une force magnifique qui font des personnes marchant avec détermination. Où vont ils ? À la maison.

D’où sans doute cette voix. Écoutez-la dans les bars avec ses ø, ses ö, ses å. Parfois même vous retrouverez cet accent qui était celui de ce quartier ouvrier, malfamé, poissant les syllabes, brutalisant les phonèmes comme on le fait à Liverpool, à Cosney Island, mâchant et mordant les mots. Pas vraiment de la rage, ni  de révolte (la dernière grève remonte à 15 ans, elle ne dura que quelques jours) mais à une intensité. Cette du froid l’hiver, celle de la lumière lorsqu’elle revient, comme une apparition. On devine alors les ombres portées, les tourments de la ville, sans goûts affichés. On s’emmitoufle dans l’illusion du vintage. Vivent les années Quarante qui ici, neutralité monnayée oblige,  furent d’une rare douceur. 

Cette rue que vous traversez au petit matin fut sans doute balayée par le père d’une Greta, qui à cette époque, s’appelait Garbo. Elle est née ici (1905),  dans Södermalm. Elle vendit des journaux à six ans, devint savonneuse chez un barbier. Sa voix grave est née dans ces rues hautes et sévères. Son timbre unique constitua l’un des premiers réchauffements climatiques. L’une de ses premières répliques fut celle-ci :«Donne moi un whisky. Ginger Ale à côté et ne sois pas radin, chéri!». C’est sans doute ici qu’elle apprit aussi la disparition,  à savourer la solitude, à avoir la paix : « I never said, dit elle un beau jour, ‘I want to be alone.’ I only said, ‘I want to be let alone.’ There is all the difference. « . On ne s’étonnera pas que Garbo refusa rapidement les interviews. Un salon de thé-pâtisserie (Gunnarsons) lui rend hommage à sa façon: de la pâte d’amande italienne, du champagne et des truffes de framboise. Nom du gâteau? « Garbos Tårar », les larmes de Garbo.

Même caractère et voix grave, Lisbeth Salander, l’héroïne du roman Millenium, habitait dans le coin. Fiskargatan au numéro 9. Comptez le nombre d’étage: cinq-sixième, vous y êtes, c’est ici qu’elle vivait (Volume II) , dominant toute la ville, vidangeant le compte de ses victimes. Il vous faudra encore quelques harengs frits adoucis de purée blonde, quelques bières pour entrer dans l’âme de Södermalm, constituer des sensations rares (c’est le nouvel exotisme), gratter les silences et les épaisseurs de lainage avant de reprendre le train au nez jaune, rejoindre les  barbares sonores.

Le petit carnet d’adresses

Restaurants

Pelikan. Depuis 1733, la ville bourdonne ici au dessus de la bière blonde et l’aquavit, si les nourritures sont locales et poussives (les deux ne vont plus maintenant de pair), l’ambiance joyeuse et conviviale est magnifique. Le décor est à tomber. Service plaisant. Blekingegatan 40.Tel.: 08- 556.090.090.

Nook. La bistronomie frappe partout et ce restaurant dépouillé n’a pas échappé au knout slashé pas mauvais au demeurant. Ambiance chic détendu.

Åsagotan, 176.

Woodstockholm

Bistrot chic où l’on se serre autour de plats bien troussés, vifs avec boissons afférentes. Mosebacke torg 9.www.woodsteockholm.com

Nytorget 6

Face au square, un vaste restaurant avec ses habitués fidèles aux plats du jour (veau avec airelles et pommes de terre grillé le jeudi), et son service féminin. Nytorget 6.  www.nytorget6.se

Punk Royale

Restaurant dingo à menu dégustation et ambiance déjantée. Folkungagatan 128. www.punkroyale.se

Salon de thé- cafés

Il Caffe. Pour son café, ces viennoiseries à la cannelle, ses hispsters en cordon ombilical,  les poussettes en milieu d’après midi. Södermannagatan 23. www.ilcaffe.se

Gunnarsons. Pâtisseries et bonne compagnie. Götgatan 92. Tel.: 08-641_9111. www.gunnarsons.se

Bars. À foison dont Bar agrikultur, Morfar Ginko, Hatket, Bar Hommage,  Paradiso, Pelikan, Himlen (rooftop bar). 

Hotel

Nofo Hotel. Idéalement situé dans un environnement calme et feuillu sur ses arrières (superbe parc et son église ), la bonne adresse au confort douillet, dédoublé d’un wine bar pour les indécis.

www.nofohotel.se

Lieux

Fotografiska

Superbement placée au dessus de l’archipel, avec de magnifiques expositions consacrées à la photographie. Autre atout, un restaurant de qualité (ainsi qu’une buvette expéditive) donnant sur la ville. Bien vu. Stadgårdshammen 22. www.fotografiska.se

Grandpa. Choix pointu de vêtements, d’objets et d’accessoires appuyé sur des marques suédoises et le reste du monde en faire valoir. Une des meilleures adresses du coin. Juste à côté du Il caffe. Södermannagatn, 21. www.grandpastore.se

Stutterheim. Amoureux de la pluie, c’est ici votre abri pour ses imperméables numérotés et stylés, capes, chapeaux et cabas viennent compléter le tout. Dommage qu’il ne pleuve pas dans la boutique. Åsögatan 132.wwwStuttergeim.com

Swedish Hasbeens. Artisanales et trendy, chaussures pour femmes années Soixante-Dix. Nytorgsgatan 36A. www.swedishhasbeens.

Pärlans konfektyr. Irrésistible magasin de bonbons à l’ancienne (1930). Nytorgsgatan 38. www.parlanskonfektyr.se

Södra Teatern. Délicieuse place et théâtre multi-poches avec bars, restaurant (Etablissemanget), scène musicale, brunch jazzy,  et vue d’enfer aux étages…

Mosebacke torg 1. www.sodratearten.se

Vintage. De partout des boutiques, dont Humana second Hand, Stockholm Stadsmissions, Pop Stockholm , Emmaus Stockholm, Ritz, Modern Retro, Lisa Larsson Second Hand

Office de tourisme

www.visitsweden.fr

Playlist

Nous avons demandé au disquaire Mickes (vinyls, cd…) de nous donner son album illustrant au mieux l’atmosphère de Söderlman. Sa réponse: « Big Sea Symphony & other Locations- Galento. L’un des compositeurs travailla ici il y a quelques années. Mickes.www.Mickes-cdvinyl.se