So long, monsieur Paul

une rencontre pour le Figaro

Un des entretiens avec Monsieur Paul ,c’était il y a dix ans pour le Figaro…J’ai du filmer cet interview, mais aujourd’hui, je n’ai pas tellement le coeur à retrouver tout ça…

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Vous n’en avez pas marre de jouer à Paul Bocuse ?
Je l’ai bien cherché, non ? J’ai tout fait pour ça, c’est pas maintenant que je vais saccager le jouet !

Quand vous êtes-vous brûlé pour la dernière fois ?
Je ne m’en souviens pas. Un bon cuisinier ne se coupe, ni ne se brûle. Dans le temps d’ailleurs, pour signaler qu’une poêle était chaude, on en farinait la queue.

Le produit qui vous résiste ?
Vous savez, comme je fais de la cuisine classique, il n’y a pas de produits difficiles. Tout est question de gestes et pour moi, l’un des plus beaux reste celui de l’assaisonnement. Du bout des doigts. C’est le geste capital. La signature du plat. Le toucher est fondamental.

Que refusez-vous de la modernité ?

L’azote. Je n’y vois aucun intérêt. Toute cette cuisine d’ailleurs, où il faut expliquer ce qu’il y a dans l’assiette, jusqu‘à indiquer dans quel ordre on déguste : c’est pas mon truc. Le thermomètre qui permet d’apprécier la température de la viande ? Je préférais le temps où on sentait la cuisson, la chaleur du four, pour savoir s’il fallait remettre ou non du charbon. Le geste, l’instinct, voilà la belle dimension de notre métier. Cela dit, il faut vivre avec son temps. Le cheval dans la cour, c’est une autre époque.

L’innovation dont vous êtes le plus fier ?
Avec Fernand Point, avoir fait sortir les chefs de la cuisine. Bon maintenant, il serait peut-être temps qu’ils rentrent, ils ont pris assez l’air ! Mais à notre époque, c‘était quoi un cuisinier ? C‘était ce gros bonhomme rougeaud en contreplaqué qui présentait le menu au bord des routes. Point disait alors à son chauffeur : monte sur le trottoir et rentre-lui dedans !

Un truc que nous n’avez jamais digéré ?
Les répondeurs téléphoniques. Ça m’agace. Ici, à Collonges, quand on appelle, il y a toujours quelqu’un qui décroche dès la première sonnerie. S’il faut en attendre deux, je suis furieux.

Chez vous, quel est le menu idéal ?
La soupe aux truffes VGE, suivie d’un filet de sole aux nouilles ou d’une volaille de Bresse, d’un saint-marcellin et, pour le dessert, d’une glace à la vanille ou d’oeufs à la neige. On boit selon ses moyens, montrachet ou kiravi.

Votre conseil à un tout jeune chef ?
Qu’il soit bien accompagné, voila tout. Par sa femme, c’est fondamental. Ensuite, par de bons et loyaux compagnons, enfin, par de bons produits. Et aussi, savoir déléguer, transmettre. C’est pas tout de gueuler !

Il y a des choses que vous n’auriez pas dû faire ?

J’ai mal emprunté. C‘était pas la misère, mais je me suis mal endetté. En plus, mon grand-père avait vendu notre nom, les murs et les fonds en 1924. Je n’ai pu le racheter qu’en 1966. Avant, ici, ça s’appelait l’Auberge du Pont de Collonges.

Qu’est-ce qui vous fait fondre ?
J’allais dire la bonne cuisine, mais ce n’est pas ce que vous cherchez ! Fondre de malheur peut-être ? Alors, cette famille que j’ai croisée un jour à l’aéroport de Miami. Elle avait adopté deux enfants trisomiques, je suis resté bouleversé par tant de courage. J’ai toujours cette image en tête.

Vous avez fait des rencontres singulières ?
Le général de Gaulle. Il mangeait si vite… Charles Mérieux, la clientèle lyonnaise. Isaac Stern, si triste et surveillé par sa femme, lorsqu’il venait avec elle, si gai et gourmand lorsqu’il était accompagné d’une autre.

Qu’est-ce qui fait que vous avez toujours trois étoiles ?
L’assiette à 100 %. L’accueil aussi. Mais la qualité de l’accueil d’abord. Il faut manger. Quand je passe à table, je mange. Et quand je suis dans mon lit, je dors. Voilà tout. Enfin, il faut bien traiter son équipe, mettre du foin dans le râtelier. Tout le monde doit y trouver son compte, on ne prend pas que d’une main. L’argent n’est pas mon souci. On ne mange pas l’argent.

Vous vous souvenez de la création de la nouvelle cuisine ?
Et comment ! Nous étions douze chefs (Troisgros, Vergé, Lenôtre, Lasserre, Outhier, Oliver…), réunis sous l‘égide de la «grande cuisine française». Tout le monde voulait nous récupérer, du moins l’argent que l’on représentait. Claude Lebey, Christian Millau et Henri Gault. C‘était en 1968. C’est ce dernier, lorsqu’il nous a vu photographiés sous l’aile d’un Concorde, qui s’est écrié : « Voilà la nouvelle cuisine française. » Mais je n’ai jamais fait de nouvelle cuisine, à part une salade de haricots verts qui a laissé tout le monde sur le derrière. La nouvelle cuisine, c‘était rien dans l’assiette, tout dans l’addition !

Avez-vous encore des ennemis ?
Toujours, beaucoup. Mais j’aime mieux les lettres anonymes. C’est formidable : je n’ai pas à y répondre, il n’y a pas d’adresse !

Le repas le plus éprouvant ?
Les tables d’honneur. Tous mes copains rigolent dans leur coin pendant que je me tape les huiles, je m’em… à périr. Je ne sais jamais quoi dire, ça ne m’intéresse pas. Alors j’observe, ça m‘évite de m’ennuyer. Je n’aime pas ces invitations, comme rester dormir chez les gens.

Petits plaisirs ?
Partager le saucisson avec des copains, un verre de mâcon. C’est irremplaçable.

Votre petit déjeuner ?
À 6 heures tous les matins, porridge, café.