Shanghai. Fondation Cartier, soif d’aujourd’hui

prétexte

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Lorsqu’on arrive à  Shanghai par les autoroutes, il y a une cheminée remarquable qui attire l’oeil tout de suite. Elle grimpe haut dans le ciel, se laisse tracer d’une longue rampe verticale. Celle-ci est rouge. Et varie selon la température. Comme un thermomètre planté dans cette ville si vibrante, dévorant le nouveau siècle. Vous êtes ici au Power Station Museum of Art (PSA) créé le 1er octobre 2012 dans l’ancienne centrale électrique de Nanshi. Sur 40 000m2 (dont 12 000m2 d’exposition), la Fondation Cartier pour l’art contemporain expose actuellement sa Collection pour la première fois en Chine. Ce qui pourrait passer pour un extrait (300) des 1500 oeuvres  (de 50 nationalités différentes) acquises par la Fondation, un échantillonnage, va en fait beaucoup plus loin dans son amplitude. L’exposition a pour vocation de provoquer à la fois un choc culturel, mais surtout un souffle humaniste.

Car cette manifestation tonique aurait pu se contenter de lâcher avec snobisme quelques référents notoires. Des accrochages du photographe japonais Daido Moriyama, de Raymond Depardon; le cinéma avec David Lynch, Takeshi Kitano; additionner les signatures prestigieuses: Jean Nouvel , Christian Boltanski, Gao Shan, Hu Liu, Yongbin… Mais c’est finalement dans sa « bio-diversité » que l’exposition prend tout son sens et ses percussions. L’installation du bioacousticien Bernie Krause nous rappelle que le chant du monde se rétrécie (celui des oiseaux, le bruissement des insectes). Son spectre devient si mince. Plus loin, dans une salle sombre, les architectes Diller Scofidio + Renfro font rouler la terre comme une bille magnifique et monstrueuse. En arrière plan, alors que celle-ci gronde dans ses rotations, scintillent les villes qui s’engorgent, les forêts qui disparaissent en grésillant, les dialectes qui partent en murmure. Lorsque l’on sort, il est presque salutaire de s’accrocher aux hanches de la fresque de Cai Guo-Qiang, la sculpture de Sarah Sze… Ou écouter Paul Virilio dans une somptueuse vidéo de 3 minutes (visible sur internet) évoquant le nomadisme, le voyage, les migrations. On le voit marcher, nous penser la terre. Il est grand temps de vivre, veut-il dire. Grand temps de regarder. D’écouter aussi Hervé Chandès, directeur général de la Fondation,  se frayer un chemin dans le tumulte, fournir toujours du sens  à cette institution créée il y a 34 ans. Elle actionne, frictionne artistes,  physiciens, astrophysiciens, mathématiciens. L’art n’est pas seulement un exercice déambulatoire exercé le menton posé sur la paume, c’est la rencontre d’architectes, d’intelligences azimutées venues humer l’effervescence portuaire, basculer dans la porosité de Shanghai. Dans une des salles, près de ces oeuvres, voici un grand panneau sombre réalisé par Hu Liu. Il nous apprend non seulement la patience (une année de travail), l’arithmétique (elle y aura usé prés de 4000 crayons de bois), mais ouvert son paysage mental, la nuances des encres, la subtilité de la couleur noir . En fait, il faut voir ces regards enfiévrés, suivre les mots hésitants de tous ces participants constituant une belle bande, hirsute, harassée de sens et de perspectives. Ce n’est pas étonnant alors de voir accoster non loin de là, au bord du fleuve Huangpu, le bateau expérimental Tara, accompagné en un temps par Agnès B. Il participe aussi à casser les barrières,  sonder la glace (en se laissant enfermer au pole nord), apprendre des « espèces » marines: elles sont coopératives à 85%. Tara nous apprend, que plus on travaille ensemble (et non en silo), plus on croise les disciplines, meilleure sera la connaissance. Elle éclaire alors, s’assombrie aussi devant la pollution croissante. Elle bonifie. Elle nous met d’une humeur vaillante.

Jusqu’au 29 juillet,  Power Station of Art,  Shanghai. www.powerstationofart.org, www.fontation.cartier.com. Vidéo Virilio: www.youtube.com/watch?v=gfco3BxgmTM