Shanghai 1/4. Le nouveau monde…

allons, partons, patron !

Il y a quelques temps déjà, je suis parti en Chine, visiter pour Air France magazine, pendant quatre jours, refaisons ce voyage…

 

Nous l’avions rangée dans une Chine fantasmée, vaguement sépia, alors que cette mégapole exulte dans une accélération saisissante.

La scène est troublante. Ce matin, sur Anfu road, au café Baker & Spice, un homme très sophistiqué en longs cheveux, pieds nus dans ses mocassins, boit son cappucino à la terrasse. À ses pieds, un lévrier gris- caviar quémande une corne de son croissant. S’en viennent à  passer un jeune infirme poussé par son père sur un misérable fauteuil roulant. Ils se postent devant notre homme pour l’aumône. Celui-ci sort alors son téléphone, semble photographier les deux mendiants pendant quelques secondes. Vous êtes pétrifié.  Puis, paisiblement, tapote sur son écran. Rien de blâmable. Il vient juste de scanner le code QR du badge des deux infortunés pour leur adresser, via Alipays, une obole. Vous êtes bien à Shanghai, la ville ne va pas cesser de vous jouer des tours.
Déjà, elle vous a bien eu. Vous avez même cru qu’elle avait maquillé sa date de naissance. 160 ans. Et déjà, 24,7 millions  d’habitants (7171 au km2), un métro avec 337 stations, 46 000 restaurants (Paris, c’est environ 13 000). Même les bateaux ont un mal de chien avec cette ville. Passé le détroit de Taiwan, il faut redoubler les quarts tant l’approche est étrange. Parmi les centaines de porte-conteneurs, la côte semble s’approcher. Apparaissent des milliers de lumières. On se croit arrivé.  Erreur, c’est le fourmillement des petits bateaux de pêche donnant l’illusion du littoral.  Shanghai appartient à ces villes au dépaysement soudain. Elle vous désarme. Ne cesse de fonctionner à la métaphore: les brumes de l’océan se glissent dans la lumière laiteuse des ports (Bordeaux, Lima, Tokyo…). Elle même trouve son écho dans les vapeurs des dim sums, leur angélisme suave. Dans les échoppes de Kiangyan road, de Fang Bang road, on se rapproche de son bol. Les pores de la peau se dilatent, la bouche devance le plaisir. C’est le risque du mangeur (se brûler), son appropriation, le défi aux Dieux.  À l’intérieur, poursuivant le chant choral de la mer, les saveurs entrent en  réverbération. L’aigre et le doux. Qui sera le plus fort, le plus malin? Ne cherchez pas, vous tenez la réponse de cette ville rebelle, prétentieuse, roublarde. Elle fonctionne comme une cloche. Résonne sans cesse d’un passé gorgé de citations, d’étrangers, de passion. Charlie Chaplin adorait cette ville. Sans doute parce qu’ici on l’aimait beaucoup. Ces jeux de miroir aux lumières vibrantes devraient vous mettre à l’envers. Sur Xinhua road, il y a comme un air de déjà vu. Cherchez.  Avez-vous deviné? Les platanes, pardi! Ils furent plantés au début du XXeme siècle par les Français pour lutter contre le mal du pays.

(la suite demain…)