Serge Vieira, donc…

Aigues ch, Vieira, entrée
Peut-être êtes-vous tombé sur des dessins représentant l’homme de l’an 3000. Ce n’est pas terrible. Triple menton (à force d’avaler des pilules, les mâchoires se sont relâchées), yeux immenses (écrans multiples) et tout petit cerveau (la mémoire est externalisée). Bref, nous serons laids et bêtes. Cela dit en attendant, on pourrait dessiner aussi ce que pourrait être le futur gastronome, s’il fréquente trop souvent les nouveaux restaurants gastronomiques…
Nous voici dans un lieu magnifique, le château médiéval de Couffour, près de Chaudes-Aigues, entre Rodez et Clermont-Ferrand. Au restaurant, officie depuis 2009 Serge Vieira, Bocuse d’or 2005. Le cadre est « ultramoderne », l’univers « unique ». La salle à manger donne dans l’épure tout en restant chaleureuse.

Aigues Chaudes, Vieira, amuses bouches
Et la cuisine ? C’est extrêmement sophistiqué avec des saveurs subtiles allant loin dans l’alphabet. Mais le souci, c’est l’infinitésimal. Les amuse-bouches vous basculent dans le minuscule : tartare de boeuf et autres réjouissances lilliputiennes qu’il faudrait presque une pince à épiler pour les diriger vers le bec. Les plats, vraiment sérieux au demeurant, jouent aussi dans les recoins et le mental tout en restant bons. Mais je nous imagine dans cent ans à manger tous les jours ici : bouche en cul-de-poule, dents en mousseline, langue de bois, mains réduites à deux doigts, bras collés au thorax en ailerons repliés, yeux rétrécis à scruter les portions, le front en flammes postales (la concentration), oreilles surdéployées pour suivre les intitulés des maîtres d’hôtel. Eux-mêmes, dans le déroulé des intitulés, prennent leur respiration avec des « donc » : dos de barbue poêlée (donc) au beurre noisette, tomate verte (donc) au poivre maniguette, radis violet (donc), pousses de « soude » et marinade de mousserons des prés. Tout cela pour dire que les nourritures escaladent, donc, reviennent en arrière, donc, et ponctuent sur une luciole au yuzu. Il faut s’y faire (quoique), la magie de la cuisine d’aujourd’hui est dans une sorte de mise à distance, l’alchimie des mots et des saveurs, vaguement segmentante face à l’ego enmicheliné des chefs. Il faut épater, briller, mais en s’éloignant de la dimension pastorale, humaniste de la table. Cela dit, on rigole là où tout une équipe se décarcasse à nous faire rêver. Les cuisines d’aujourd’hui devraient penser à nous plus paisiblement, aux clients, aux appétits nouveaux. Donc.
Serge Vieira, château de Couffour, Chaudes-Aigues (Cantal). Tél. : 04 71 20 73 85. Fermé mardi et mercredi. Comptez 80 euros.
Aigues ch, Vieira, salle 2
  • michel szer
    8 novembre 2012 at 8 h 46 min

    hier soir péter la sous ventrière au bascou avec un lièvre à la royal!!mdr en lisant l’article.