Senderens perd une étoile: quelle tristesse

Nous étions passé début décembre constater le calamiteux changement d’orientation de la maison…Remember…

Lucas Carton, l’étonnant retour…

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Si vous retournez au restaurant Alain Senderens, place de la Madeleine, à Paris, vous risquez de marquer un temps d’arrêt. L’enseigne vient d’être changée, mais des verres gravés scandent encore dans la salle le nom d’Alain Senderens. La carte témoigne des classiques de cette institution. Tout est presque pareil, mais tout est transformé.

Depuis le 31 octobre, cette table illustre a été reprise par Paul-François Vranken et Nathalie Vranken, qui en ont confié l’exploitation au traiteur Potel et Chabot. L’histoire mérite d’être racontée et appartient à ces feuilletons de la vie parisienne.

En 2005, Alain Senderens fait sensation avant la sortie du Michelin: il remet de lui-même ses trois étoiles. Il se déclasse ainsi vers une catégorie plus modeste, celle d’une «brasserie de luxe», expression insufflée par le cuisinier mais qui le fait bondir d’exaspération chaque fois qu’on la lui ressort. Bien lui en prend. Lui qui risquait de perdre sa troisième étoile, devance le tir. Quant à son affaire, elle rebondit superbement en supprimant les nappes, le caviar et les prix démesurés (plus de 300 euros par tête de pipe). L’addition passe à 100 euros et le restaurant est ouvert sept jours sur sept! On comptait 90 clients par jour, tout à coup le curseur tape dans les 170 en 2012…

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Jusque dans les années 2010, la créativité est au rendez-vous. Puis elle s’essouffle: la routine s’installe. Alain Senderens n’a plus la niaque de ses 20 ans. En réalité, son brillant second Jérôme Banctel est déjà au piano depuis des années. À 74 ans (le 2 décembre prochain), Senderens, réputé pour ses trouvailles, porte alors sa lunette d’astronaute vers un éventuel repreneur. Des «Russes» se manifestent, mais ne font pas l’affaire. Vient ensuite un attelage intéressant: Nathalie et Paul-François Vranken, qui ne verraient pas d’un mauvais œil la reprise avec un chef tout trouvé, Jérôme Banctel. C’est son fils spirituel, son chouchou choyé et sollicité pour toutes les ouvertures de la chaîne d’hôtels Mama Shelter coachés par Alain Senderens. On les voit tous les deux posant sur un livre de recettes: le projet est quasiment entériné, sauf que l’offre est un peu faiblarde aux yeux du couple Alain et Eventhia Senderens.

Arrive alors Yannick Alléno. Il vient de démissionner du Meurice avec trois étoiles scintillantes. Il brille de mille feux au-dessus du restaurant du Cheval Blanc (groupe LVMH), à Courchevel, et vient d’y décrocher deux étoiles. Il a de l’ambition, des financiers et serait le candidat rêvé pour le Lucas Carton. Les tractations se déploient avec des ruses de Sioux pour éviter que l’affaire ne s’ébruite. On craint que les propriétaires des murs, devinant l’arrivée d’un groupe surpuissant, ne fassent grimper les loyers et l’on ménage toujours la piste Vranken-Banctel. Le 1er mars, vers 1h30 du matin, Yannick Alléno passe discretos visiter les cuisines, parmi les plus belles de Paris. Une semaine après, Jérôme Banctel apprend cet épisode. Après être tombé de l’armoire, dégoûté, il se retire du projet, et trouve très vite un nouvel employeur: Michel Reybier, propriétaire de La Réserve, à Ramatuelle et à Genève. Ce dernier va investir une somme colossale dans la reprise de la résidence Maxim’s face au restaurant Laurent, à Paris, qui promet de faire grand bruit: ouverture juin 2014. Banctel a signé le 3 juillet.

Yannick Alleno est alors en plein bouillonnement. Il tient une adresse de renommée mondiale pour dérouler sa néocuisine classique, revisite le Lucas Carton et se sent prêt à verser le loyer annuel: 450.000 euros. Entre-temps le groupe LVMH, pour des questions de stratégie, renonce à l’aventure. Très vite, Yannick Alléno trouve un nouveau partenaire privé. Une proposition ferme est déposée à la fin de l’été. Il reste 30 jours au couple Vranken pour faire éventuellement opposition. Ce qu’il fera dans les dix jours, à la surprise générale, proposant à Alain Senderens, de repartir à l’aventure.

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Le nouvel attelage relance même Jérôme Banctel. Pendant une semaine, un trio est envisagé avec les ex-seconds fondateurs: Bertrand Gueneron (aujourd’hui au Bascou), Frédéric Robert (La Grande Cascade) et Jérôme Banctel. Cela ne dure que quelques jours car un nouveau rebondissement se trame dans les coulisses. On annonce à la stupeur générale l’arrivée du groupe Potel et Chabot. L’affaire est alors conclue très vite: le restaurant Alain Senderens est redevenu Lucas Carton.

Que vaut la nouvelle cuisine? Elle est correcte, reproduit l’esprit Senderens comme Mireille Mathieu le faisait avec Édith Piaf. Une poésie récitée par cœur à toute vitesse. Une page est tournée.

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Lucas Carton, 9, place de la Madeleine, 75 001 Paris. Tél.: 01 42 65 22 90www.senderens.fr