Rome. Continuons avec Centocelle…

la ville à revers

Cette bonne humeur, ce sera le cadeau de votre séjour. Vous glisserez même dans un autre temps avec les friches urbaines. Se dresse claudiquant , amoché comme une dent cariée, le museo dell’Altro e dell’Altrove, sur la via Prenestina. Des fresques murales surgissent au détour des escaliers, ripent sur un mur de carrelages. Les courants d’air sont chez eux, et, à l’ouverture, les silences sont superbes. Et puis tout au fond du site,  des cabanes et leur guingois poétique: des enfants qui courent, des guirlandes de linges. Soudainement, vous suspendez votre pas. Seriez vous dans le champ d’une caméra? Oui (enfin, non), celle de Pasolini. Sur le clap de la séquence pourrait s’inscrire « Accatone »,(1961).

Vous cherchiez votre pitance la voici  encore. Ce soir dans le vieux forte  Prenestina (1880-1884) désaffecté, réhabilité en squat autogéré avec marché bio le dimanche, la fraîcheur est surlignée par l’humidité, la clairière inquiétante, la déshérence coloriée. Des entrailles des caves sortent les rythmiques lourdes d’hymnes rebelles. Voici Centocelle teigneuse, affranchie vaguement  dans son avant garde hésitante. Non loin de là, à la buvette l’OmbraLonga, toute la jeunesse locale est dans son élan et ses premiers pas. On s’apostrophe, on se vanne. On retrouve  Rome qui nous avait filé entre les doigts, cette gouaille des faubourg irradiée au vin blanc pétillant; ces sourires clairs au dessus des planchettes de jambon de Parme. Il fait sombre dans les rues, les lumières sont en sourdine, voire éteintes. Au lointain, le babil d’une pizzeria avec les gens du coin, la tchatche, les postures, la clope sur le trottoir; le pantalon que l’on étrenne, la jupe que l’on ajuste: toujours  en Italie, cette impression si joyeuse que l’on vient tout juste d’acheter ses habits. Une chose nous manquait de Rome, une tablée va vous la redonner. On rit à gorge déployée, la pizza refroidit, mais ce n’est pas grave,il est tard. Eux aussi ont repoussé leurs fortifications, Centocelle vibre, ne dort que d’un oeil, n’a pas de compte à rendre, témoin la gastronomie affranchie du bistrot contemporain Mazzo. Centocelle nous donne une étrange leçon, celle de reformater notre curiosité, de quitter les lieux communs, histoire de se réinventer une nouvelle géographie, loin des guides, de leurs injonctions. Elle réveille en nous un onirisme neuf, une poétique toute simple. C’en est même curieux de retourner dans le centre de la ville, on en perdrait presque son latin. On trouve que la ville parle trop fort, boit trop et crie pour rien. Les cartes ont été rebattues, nous sourions comme si on nous venait de nous donner la combinaison du coffre.