Pour le Figaro Madame, à l'occasion de la sortie du livre de Frédéric Malle, j'ai eu la chance de passer un moment avec cette femme hautement troublante…
J'ai aimé un homme avec un parfum. Je ne le supporterai pas sur quelqu'un d'autre!
Elle est assise de dos. Parle, sur la terrasse de son salon de thé, au Panthéon, avec un homme. Les pieds de Catherine Deneuve sont parallèles et dansent comme un chacha. Une sorte de chorégraphie, celle de l'impatience probablement. Le visage de l'homme alterne beaucoup d'impressions, un trouble manifeste, une dimension rayonnante, une effusion. Sans doute parle t il d'un contrat, d'un auvent de salle de bain, d'un canapé lit. Nul ne le saura. Qu'importe, il existe des films muets sur lesquels, on projette soi même les vermicelles de sa brave petite tête. Il est midi, son tour a sonné, le mien arrive. Catherine Deneuve pivote, jauge le suivant. On se croirait dans la chanson de Jacques Brel. Par chance, il n'est pas indispensable d'être nu dans sa serviette. Tout juste prêt pour parler des parfums. Elle vient de préfacer un livre consacré sur le thème par Frédéric Malle, chez Angelika Taschen. Malle, comme se faire la malle, partir dans le sillage d'un parfum. Il se trouve que Catherine Deneuve, qui n'a jamais tourné avec Louis Malle (l'oncle de Frédéric) mais a inspiré l'un des parfums de la collection (Iris Poudré), <adore> (terme qu'elle prononce avec un chic sensuel irrésistible) le travail du neveu. Elle les connait tous, leur demande de scander les saisons et parfois d'épauler des personnages de film. Elle change ainsi passant d'une tubéreuse à un bonbon candy. C'est selon. Lui faire parler des parfums devient alors un plaisir. Alors qu'elle avait débuté l'entretien en grattant du talon, le reste de cette rencontre fut un enchainement de plaisirs tactiles : le papier, l'encre, les plumes, le métro, la nuque,le cou, derrière le genou et bien sur les parfums, leurs usages, leurs pénombres…En réécoutant la bande son de cette conversation, la voix de Catherine Deneuve ressort alors comme dans une magie déroutante.
Comment êtes vous tombée nez à nez avec les éditions de parfums Frédéric Malle ?
Jusqu'à ce je rencontre les parfums de Frédéric Malle, j'ai toujours été fidèle. A l'Heure Bleue, de Guerlain. Mais lorsque j'ai lu qu'une maison éditait des personnes comme Olivia Giacobetti alors j'ai suivi le sillage de cette idée, comme on le ferait d'une eau de toilette. J'ai adoré cette façon de procéder. C'était merveilleux de travailler ainsi, de multiplier les entrées, apprendre à élargir l'arc en ciel des senteurs ; le gardénia. J'aime l'idée qu'un parfum devance une atmosphère, accompagne un climat, épaule un caractère. Cet échange secret, diffus appartient à la magie de vie, celle la même qui nous fait se retourner dans la rue, dans son lit.
Est il vrai que vous changez de parfums à chacun de vos rôles ?
Presque. C'est sans doute une façon d'entrer en douceur, ou en force dans des caractères. D'aller plus loin encore. Tourner un film, c'est partir dans un voyage, plus ou moins immobile. Et pour moi, j'y vois toujours une dimension <sentie>. Dans le film sur la princesse Marie Bonaparte, j'avais choisi de porter Noir Epices, de Michel Roudnitska. Sans doute avec ses traces de cannelle, de girofle, noix de muscade, santal… Des passerelles se sont crées avec ce personnage si fort ; sa recherche de liberté, ses audaces tout en tenant de ne rien briser au sein de sa famille. Ce qui n'était pas facile compte tenu de son enfance cauchemardesque et de son mariage désastreux avec un homosexuel. J'aimais bien son caractère entier,direct parfois très direct ; son langage cru, notamment sur la sexualité. Elle appelait un chat un chat. Noir épices était le fourreau parfait pour se glisser dans ce personnage.
Et pour celui de Christophe Honoré, les Bien Aimés ?
Je l'ai tout de suite associé au Lipstick Rose, de Ralph Schwieger, à cette femme coquette, son univers, les chaussures de Roger Vivier. Vous le connaissez ? Il y a dedans de la rose, des notes de violette, iris, c'est fruit et floral…Tout cela vient de chez Frédéric Malle, et je regrette qu'il ne fasse pas plus parfums par an, sinon, je passerai ma vie avec lui.
Iris Poudré a été inspirée de Belle de Jour…
C'est ce que l'on m'a raconté. J'adore celui de Frédéric et Pierre Bourdon, son créateur, ont voulu donner à l'iris, qui n'est déjà pas un cadeau à traiter, un complément de vanille, musc, jasmin et tout cela en pensant à ce rôle de bourgeoise sensuelle introvertie.
Changez vous de parfum l'hiver venu ?
Bien sur, chaque saison aspire à balayer la précédente. J'aime bien l'été mettre du musc dans les cheveux, attendre l'automne et ses ambres, le printemps avec le jasmin, le gardénia.
Offrez vous des parfums aux hommes ?
Humm, c'est tout de même fort délicat. Cela dit, j'ose m'aventurer avec des vétiver. C'est un risque je le cours. Mais avec un ami, tout se passe bien.
Et aux femmes ?
J'ai fait découvrir à ma fille, Chiara, les créations d'Olivia Giacobetti. Elle a tout de suite adoré comme la friction de nuit, un eau de toilette délicieuse au tilleul
Vous fumez fort régulièrement, cela confère t il à votre sillage une profondeur, une chaleur ?
Vous pensez vraiment ? Je ne m'en rend pas tellement compte. Si le tabac,le whisky, modifient les voix, je ne pense pas que la mienne se soit modifiée. Elle est un peu plus grave qu'avant mais pas tant que cela. D'ailleurs, je ne suis pas une fumeuse, mais une crapoteuse.
Peut on tromper son monde avec un parfum ?
Peut on faire illusion avec un parfum, vous voulez dire ? Oui, dans un premier temps, oui, il y a une effluve, quelque chose d'immédiat. Mais cela ne dure pas longtemps. D'autres éléments prennent alors le relais. Le parfum reste un palier, ensuite, il s'agit de monter les étages. Les descendre. Il y alors, la personne, ses gestes, sa voix. Les mots. Il m'est arrivé de croiser des gens qui portaient des parfums que j'aimais. Tout de suite, je me sentais attirée. Cela devient alors insolite, singulier, subtil. C'est un autre langage, voyez vous ?
Des parfums vous feraient ils tourner la tête ?
Les parfums américains d'une certaine époque. C'était rédhibitoire, surtout lorsque les Américaines se parfument, c'est quelque chose. Je me souviens d'un parfum qui laissait une empreinte très forte, comme gravé, Giorgio ? Il eut un immense succès.
Perdre la tête, alors ?
Oui : jasmin, gardénia, lorsque c'est de bonne qualité, sinon cela devient catastrophique. Ils doivent être irréprochable, sinon cela devient entêtant.
Quel est pour vous le nez de Paris ?
Quelque chose qui m'évoque cette ville, c'est le muguet, la rose. Ce sont des parfums très parisiens. Je me souviens que ma sœur ainée portait un parfum de Dior et même encore aujourd'hui cela m'est désagréable de le sentir sur quelqu'un d'autre, comme si son identité en était imprégnée. C'en est presque cruel, marquant en tout cas. Qu'avait répondu Frédéric Malle à cette question ?
Le métro.
C'est drôle, il a raison. Très souvent, je le sens devant les bouches, car je n'y descend quasiment plus. C'est un mélange troublant avec du fer, de l'oeillet… chaleur électrique, l'helychrysum, l'immortelle. Un mélange de feu.
Existe t il des odeurs désagréables que vous aimez ?
J'aime les odeurs de certaines plantes : celle de la feuille de tomate, l'odeur de la rue des jardins (la rutta, assez féreuse, les absinthes, l' helychrysum. C'est ce qu'il y a du reste dans un parfum d'Annick Goutal que j'adorais mettre l'été. Son nom : sable. Une odeur de soleil. Je l'ai connue aux Seychelles, elle était en rémission . Elle était magnifique avec ses cheveux très courts, toute bronzée. Elle parlait tellement bien de ce qu'elle faisait. J'aime bien aussi les parfums de Serge Lutens. Lui aussi, est un auteur.
Vous souvenez vous de l'eau de toilette de votre père
Je me souviens aussi de l'encre qu'il utilisait. J 'adore les encres (prune , orange sanguine, rouge indien, vert empire, gris taupe,… Regardez celle ci ! Et ce stylo, une édition Montblanc d'un petit mozart en blanc et or rose. J'adore écrire à la plume. Les stylos appartient aux choses extrêmement marquantes. Je me souviens de celui de mon père avec une encre Waterman bleu mer du sud. C'est comme son parfum, ce sont des choses inoubliables.
Quel était il ?!
Cinq de Molyneux. Ce chypré fruité ne se fait plus depuis longtemps. Un jour, dans une grande brocante, j'ai retrouvé ce flacon. Il n'avait pas vraiment tourné, il s'était juste acidifié, j en 'ai retrouvé la dimension. L'émotion.
On devrait les millésimer n'est ce pas ?
Ah bon,vous croyez ?! J'avais demandé à Francis Kurkdjian, de me reconstituer un parfum de maison qu'i n'existait plus, celui de Jansen, de la rue Royale, à Paris. C'était un parfum de maison irrésistible, un pot pourri dont j'étais absolument accro. Cela s'appelait la flambée. Il a retrouvé les composants, il me l'a refait, j'adore cette odeur pour la maison. J'aime le sentir.
Votre premier parfum ?
L'Heure bleue de Guerlain. Très longtemps. J'en mets encore. J'habitais dans le 16eme arrondissement. Nous sommes allés dans la boutique à l'angle de la rue du faubourg Saint Honoré. Et puis, cela m'a rendu très addictive. A l'instar des bougies de chez Dyptique, boulevard Saint Germain. Ils font de belles eaux de toilette comme l'Ombre dans l'eau que j'ai osé offrir à des amis. Elles ont beaucoup de chic. Mais pour moi, je les connais depuis les débuts, je suis l'une des plus anciennes clientes, Dyptique reste associé aux bougies. Elles sont exceptionnelles : feu de bois, mousse…On a beau les connaître, il y en a toujours une que l'on ignorait.
Votre mauvais goût en matière d'odeurs ?
Peut être ces choses que l'on trouve dans certaines brillantines à base d'oeillet qui existe encore. Ce genre des choses anciennes, chez Roja, pour les cheveux. Le jasmin aussi même si ce n'est pas toujours de bonne qualité. Cela m'arrive au Maroc d'acheter ce genre de produits. Mais lorsque l'on revient, la magie s'est éventée, ce n'est plus pareil. Il y a quelque chose que j'aime beaucoup là bas que j'ai du mal à porter, c'est le oud. A Paris, c'est plus difficile…
Tom Ford en a fait une jolie chose…Oud Wood
Ah oui, il y a des hommes qui aiment beaucoup cela. Les hommes féminins. Même si c'est assez puissant et solide, j'ai remarqué que les hommes très féminins aimaient ce genre de composition.
Quelles sont les odeurs que vous n'aimez pas ?
les parfums qui sont un peu synthétiques, se révèlent persistants et ce, de façon un peu écoeurante. Des parfums très fabriqués. Dans les odeurs de tous les jours, celle du poireau, du chou, mais cela reste banal. Du reste,je ne souffre guère de ce genre d'intrusion. Que je sache, lorsqu'ils font la cuisine, les gens ferment les portes, ouvrent les fenêtres. Il se passe, j'ai cru comprendre, une réaction chimique lorsque l'on cuit les crucifères, une réaction chimique légèrement soufrée. C'est aussi désagréable à sentir que délicieux à manger.
Comment voulez vous les parfums sur les hommes ?
Il faut que ce soit subtil. Que ce soit très personnel . Pas trop évident. C'est pour cela que les parfums assez épicés, boisés, à la fleur de la peau, cela vieillit assez bien. Je n'ai pas d'à priori. C'est vraiment lié à quelqu'un. Et surtout cela dit beaucoup sur la personne sur ses gouts, de son nez, de sa sensualité. Mais bon un homme qui ne porte pas de parfum, cela ne me dérange pas du tout. Au contraire D'ailleurs, mon père ne se parfumait pas du tout, il parfumait seulement ses mouchoirs. De grands mouchoirs en fil blancs.
Bocuse ne se parfume pas…
Ah oui, je comprends. J'imagine qu'il faut se débarrasser de ses molécules aussi prégnantes, les épices, le fumé, les épices, les poissons. Si j aime le goût de ce dernier , j'aime moins l'odeur..Il n'y a plus qu'à se brosser la peau, les cheveux, les vêtements, la vapeur…
Votre goût a t il évolué
Ah oui ! Je ne sais pas s'il y a a vingt ans si j'aurais eu envie de porter du gardénia, du jasmin. Mais ça évolué aussi avec mon goût pour les plantes, pour la nature, que j'aime beaucoup. Quand on est intéressé par les plantes et les fleurs, on approche différemment cet univers.
Mélangez vous les parfums ?
Pas vraiment. Comme je porte des choses très bien étudiées et subtiles, je ne me vois pas les mélanger. Je ne consacre pas assez de temps à cela pour prendre le risque de faire des mélanges surtout qu'un parfum possède un équilibre, c'est un volute rien à voir avec des vêtements que l'on superpose.
Où vous parfumez vous ?
Ahhhh… Derrière le genoux (voix de gorge). Pas sur les vêtements parce que cela reste après très longtemps. Plutôt le cou, la nuque. Beaucoup la nuque et puis je me vaporise légèrement avant de sortir.
Aimeriez vous qu'un parfumeur capte une ambiance pour vous, un climat, une fleur, un paysage de montagne sous la neige ?
Ce serait alors très lié à la nature, fait avec des choses naturelles, aux fleurs, aux plantes grasses…J 'aime beaucoup ainsi la fleur d'oranger. Mais elle existe déjà joliment avec notamment Lutens, la Bigarade de Malle, conçue par Jean Claude Ellena.
Votre parfum Deneuve (1989) est il toujours distribué ?
Non malheureusement, c'est dommage. C'était un bon parfum créé par Avon. Lorsque cette firme a été revendue, mon parfum est tombé en carafe. Il coûtait trop cher, il n'y avait pas assez de marge. De très belle qualité, il avait un problème technique car le flacon, s'il était joli avec sa forme basse et rectangulaire, présentait une réalisation complexe. Cela dit, aujourd'hui, je ne pense pas que les gens aient envie de porter un parfum qui porte un nom du cinéma. Aux Etats Unis, cela peut fonctionner, 5-7 ans, dix ans au mieux, en Europe, cela ne me fonctionne pas. Cela me paraît difficile. Si on me le proposait, je le ferais avec plaisir mais je ne voudrai pas qu'il porte mon nom.
Avez vous apprécié d'avoir été l'image de Chanel pour le N°5 ?
C'était en Amérique seulement. C'était très agréable de travailler avec Richard Avedon qui a réalisé une très belle campagne. Régulièrement, à l'occasion de rétrospectives, ils utilisent ces tirages noir et blanc qui en firent une t campagne, belle et originale…Quel bonheur, c'était quelque chose de très agréable autour de vous. Je n'imaginais pas comme cela. Je n'ai fais que les photos, à l'époque il n'y avait très peu d'actrices à faire cela, Audrey Hepburn pour Givenchy. Pour m'en convaincre, car j'hésitais, Avedon me dit que pour elle, ce fut la plus belle des cartes de visite pour les Etats Unis.
Vous fiez vous à votre nez ?
Je me fis à mon nez, à mon instinct donc.
Associez vous parfois un parfum à un sentiment donné ?
J'ai aimé un homme qui portait Eau Sauvage de chez Christian Dior. Je ne le supporterai pas sur quelqu'un d'autre !
Puis je prendre votre main (en photo) ?
Ah non, je sors du jardin, elles sont toute griffées.
pops
13 décembre 2011 at 4 h 06 minhttp://www.refinery29.com/tom-ford-sniffing-perfume
Moi c est le butt de la Deneuve a pres de 70 ans que je voudrais voir….
Mathilde
28 décembre 2011 at 17 h 07 minMadame Deneuve, mon icône absolue ..
Belle et intelligente, un régal à regarder et à entendre, de plus en plus même !
Monsieur Simon, vous êtes un grand veinard .. c’est la première fois que je vous envie (et pourtant j’apprécie beaucoup vos chroniques).