Quelques moments avec l’alpiniste Cory Richards

Cory Richards, l ‘étrange ivresse des sommets

Ce garçon, 38 ans, appartient à ces nouveaux oiseaux du XXIeme siècle. Ils ont la peau sur les os, semblent fragiles, mais font feu de tous bois. Ils « slashent » la vie comme le ferait un karatéka sur un muret de briques. Il est alpiniste, photographe, incarnation d’une marque de montre (Vacheron Constantin), conférencier, parfois mannequin. c’est aussi un survivant, il aurait du être englouti par une méchante avalanche en 2011  au Pakistan en gravissant le Gasherbrum II . Cory réalisa juste après un autoportrait halluciné. Il fit la couverture du National Geographic magazine. Il nous frappe dans la dimension terrifiante de cette expédition. Depuis lors, ayant subi le contrecoup de ce terrible accident, qui aura ravagé sa vie privée, il est remonté à la surface, a repris le piolet pour tenter de gravir l’Everest, et ce sans oxygène. Cory Richards ressemble à notre monde dans sa volonté de s’en affranchir, de nous prouver que l’on peut aller au delà de nos forces. Il nous raconte aussi ce qu’il y a derrière…

Le risque est un défi lancé aux dieux, quelle est la part spirituelle de votre expédition?

La façon d’approcher les montagnes a depuis la nuit des temps une dimension spirituelle. Ce sont nos cathédrales. C’est elle que l’on escaladait pour vénérer les dieux, savoir ce qu’ils nous voulaient, ce qu’ils étaient. Je ne suis pas religieux, mais spirituel sans tomber dans l’abstraction cosmique.

Pensez-vous que la montagne, comme vous le dites, est réellement « indifférente »?

Je ne peux que le résumer comme cela. La montagne est une part de na nature, comme la nature est une part de nous. Et cette dernière ne se soucie pas de moi personnellement. Elle ne décide pas qui va mourir ou non. Elle reste neutre.

 Quelle est votre relation avec l’océan ?

C’est extrêmement spécial pour moi. À tel point que je n’arrive pas à poser les mots. La mer m’attire profondément. Je ne parle pas des lacs, des fleuves, mais de l’océan. Il y a là du sacré comme avec les montagnes. J’éprouve une sorte de nostalgie pour ce que je n’ai pas vécu et du coup, je me pose des questions si nous n’avons pas eu plusieurs vies.

Vous évoquez souvent la nécessité des bénéfices de l’effort, d’allez au delà et sa dimension vertueuse. Mais au delà, y a-t-il des diables, des forces négatives ?

Le diable que j’ai rencontré correspond à l’aspect négatif de moi-même. C’est une chose que d’aller à son maximum, c’en est une autre de se voir sous une lumière différente, où la moralité, l’intégrité, la notion du bien, du mal se dissolvent très vite. On est alors sur un fil entre la vie et la mort. Alors notre système de pensée binaire disparait. On peut voir dans ces moments là le pire côté de soi même. C’est juste un autre bout de soi.

Lorsqu’on vous entend parler brillamment avec énergie et humilité, on pense que ces conférences apparaissent comme une thérapie, la réappropriation de vous même par le langage…

J’ai maintenant la chance de pouvoir formuler clairement ce que je pense. Quand j’ai commencé à parler, je cherchais des réponses, l’absolution de toutes mes erreurs. Je cherchais quelqu’un qui me dise que tout allait bien, que mes errances dans l’alcool, mon mariage étaient pardonnées. Maintenant, ça va mieux. Bien souvent, on pense qu’on est pas capable de tout faire. Ce n’est pas vrai. La leçon que j’ai apprise: on doit croire massivement en nous-mêmes.

Vos mains et vos pieds ont-ils une autonomie ? Défient-ils votre intelligence?

Hélas, parfois mes jambes m’entrainent dans des endroits où je ne devrais pas aller. Pareil pour fumer, alors que je suis très exigent avec moi même, je vois mes mains aller vers ma destruction. Je me déteste alors, moi qui pense parfois que la perfection est possible. Or, comme vous le savez, elle n’existe pas !

Que vous inspirent les embouteillages au sommet de l’Everest?

Souvent les médias jouent avec la notion de l’état sauvage. Celle-ci n’a pas changée même s’il y a de plus en plus de monde. La beauté reste toujours la même. C’est ensuite à soi de faire le choix si l’on veut se focaliser sur un déchet, un cadavre…Ou alors de prendre du recul et de savourer ce qu’il y a sans doute de plus beaux sur la terre. Si on fait ce choix, on garde intact son respect.

Avez vous le temps d’être  bienveillant avec vous-même, vous faites-vous des cadeaux, des crèmes, des vêtements?

L’époque de la colonisation n’est pas de celle que j’affectionne, mais pourtant j’adore la façon dont ils s’habillaient. Lorsque je reviens de la nature, j’ai envie de porter de belles choses, des bottines, mon costume trois-pièces avoir une bonne crème hydratante. J’aime ce genre et c’est sans doute l’une des raisons pour laquelle  mon partenariat avec Vacheron Constantin fonctionne. Je suis dans la dualité : raffiné et brut. J’adore bouffer des cochonneries, et ensuite suivre un régime draconien.

Être ainsi confronté à la pureté rend-il les retours en ville plus délicats ?`

Les retours à la maison sont toujours difficiles. J’ai besoin de m’isoler. Je suis exténué, parfois déçu. J’ai tendance à être très solitaire alors que tout le monde se presse autour de vous…

Qu’est ce qui peut encore vous déstabiliser ?

Mes pensées. Je souffre d’anxiété et j’ai des passages dépressifs. Mon imagination nourrit cette anxiété, j’imagine des choses qui ne sont pas réelles. C’est pourtant cette même imagination qui me pousse à photographier, à créer. C’est sans doute la chose la plus déstabilisante.

Est-ce vraiment nécessaire d’avoir une montre pendant l’escalade?

C’est plus qu’indispensable, c’est chirurgical. Tactique ! Sur le prototype que m’a confié Vacheron Constantin, nous avons placé également l’heure de mon pays, de ceux qui sont en phase avec moi, mes amis, ma communauté. J’ai besoin de savoir alors où en est leur journée. Elle-même, la montre me rappelle l’excellence de l’horlogerie, sa précision, son exigence. Le tout forme une philosophie commune du temps et de la montagne.

Quelle est donc cette nécessité à vous confronter, à dialoguer avec le danger, la terreur? Y-a -t-il en vous des fantômes dont vous souhaiter vous délivrer ?

Il y a plusieurs fissures en moi, le regard positif mêlé au regard dépréciateur, mes espaces sombres et négatifs…Ces crevasses sont à l’origine de mes désirs. Chaque fois que je sors, j’essaie de les  remplir avec quelque chose de bon, sinon je retrouve mes fantômes.

Vous n’avez aucun respect pour…

Ce qui fait du mal, la dégradation environnementale et les gens qui au lieu de suivre leur instinct moral, suivent la loyauté quitte à se trahir eux mêmes…

Lorsque vous arrivez tout en haut de la montagne, avez vous le temps de respirer et quel est le parfum de l’air pur ?

Il fait tellement froid ! Ce qui me frappe c’est le coté métallique de l’air, sa présence physique. On a l’impression de toucher la glace avec le nez, on essaie de décrire une couleur que l’on a jamais vue.