Petit feuilleton de l’été: mais que serait devenu Roland Barthes?

Pour le Figaro, j'ai eu l'étrange privilège de traiter le cas de Roland Barthes. Theme de la série: que seraient ils devenus ? Allons y…

 

 

 

Le 25 février 1980, à 15heures 45, Roland Barthes, à hauteur
du 44 rue des Ecoles, se fait renverser par une camionnette de blanchisserie.
Inconscient et sans papier d’identité, saignant du nez, il est transporté à la Salpétrière.
Le 26 mars à 13 heures 40, il meurt.

 

   Il
devait être dans ses pensées. Mouliner comme un boudha pensif. Centrifuger ces
nuées de mots, ces conglomérats de voyelles, ces seaux de consonnes. Parfois,
il stoppait net cette machine. Demandait un peu de paix. Sondait le
silence.  Celui-ci tardait
toujours. Un vrai bazar d’obliques, de noèmes, d’interfuit. Que sa tête était
encombrée ! Il tombait  alors dedans
comme en apesanteur.

 Oh diable,
comme cette journée était bancale : Tito mourrait à Belgrade, Kaboul se
déchirait, Rocard passait à la télé, Giscard relançait la participation. Le
temps était de ce gris tweed qui allait parfaitement à son humeur. Ce déjeuner
avec Mitterrand et Lang lui avait pris le chou. Comme à chaque fois, il s’en
voulait d’avoir dit oui. Sa lâcheté quotidienne, ses concessions qui
obstruaient sa vie. Barthes pensa alors aux prochaines vacances. Il devait
faire beau aujourd’hui dans son pays basque, au village d’ Urt. Il pensait
régulièrement à l’Adour. Ce fleuve le fascinait avec cette façon d’engloutir le
silence. La cellulose molle de la surface. Cette manière de repasser l’horizon,
d’immobiliser les chaleurs de l’été. 

Roland Barthes traversa la rue des Ecoles.

Quelques minutes plus tard, il était au café récapitulant ces
derniers moments.

(la suite demain)