Cette femme élégante qui pousse son chariot dans la Grande Epicerie de Paris serait sans doute prise de vertige si elle savait ce qui tramait sous ses escarpins. Sur deux niveaux, 1500m2, il y a une véritable armée qui s’ébroue dans les légumes (500 kilos par jour), la farine (en silo de 600 kilos) et la mie de pain. Une sorte de dessin animé à la Walt Disney, regorgeant de personnages en toques, calottes, le crayon sur l’oreille, le skype appelant la Chine du sud. La Grande Epicerie ne dort jamais. Cette nuit, jusqu’à 3h30, un « shooting » pour un magazine féminin mobilisait outre le car lounge et un mannequin d’1m73, une douzaine de personnes et ce depuis 17 heures. Ils ont du sans doute croiser les boulangers (24 au total) attaquant à minuit, la sécurité arpentant les travées et vers 5h les cuisiniers (29). Lorsque les portes ouvrent (9h), un incroyable travail a été fait. Le pain est encore chaud. Il sortira des fours toutes les deux heures. Les sandwiches ne vont pas tarder (treize variétés, dont ceux vendus au…centimètre). A 10h, le directeur Michel Turpin plisse du nez, il y a encore un Caddy de réassort au milieu d’une allée: « Il y a un code au luxe, dit il, avec une cohérence implacable allant du service à la propreté en passant par la qualité et la prestation ». En pâtisserie, Loïc Cabrero avec son équipe affine encore le gâteau conçu pour Noël: « neige de noisettes ». Imaginé dès février sur une idée de la direction artistique dirigé par Frédéric Dodenes. Celui ci avait creuser l’idée en arpentant le salon « Christmasworld », de Francfort en janvier. Son travail, c’est d’être « là où on ne l’attend pas, d’élever la valeur immatérielle du lieu, de ne pas être forcément à la mode: d’être en quête perpétuelle d’étonnement ». Les coulisses de la Grande Epicerie se nourrissent donc constamment de ce décrochage subtil, en allant sourcer les produits comme Alexia Soyeux. Elle passe son temps à gratter les fonds de terroir pour rapporter à la surface des miels rares, des sels singuliers, des producteurs illuminés. Angela Intonti a sans doute la même flamme dans les yeux. Elle est en charge de la ligne des produits maison. Depuis bientôt trois ans, elle a réussi a construire une gamme de quelques 686 produits (64 producteurs). Et bientôt mille. C’est un exercice pas évident puisqu’il s’agit de se glisser dans l’offre considérable et de porter subtilement la marque Grande Epicerie de Paris, tout en laissant au client un élément fondamental: le choix.. C’est aussi le travail de Laurent Trégaro, 33 ans de maison, responsable des achats. Gérer sur 3500 m2 plus de 9000 références en épicerie (3000 en produits frais), être aussi fort dans les eaux minérales (90 variétés, dont une « bling » à 50€ ) , les sels (80) que dans les chips (25). Trier dans le flot colossal des offres, transmettre son calme à l’hystérie des propositions. Les coulisses de la Grande épicerie sont un grand cerveau ouvert, cherchant toujours ce fameux pas de côté, l’entrechat où le pâtissier substitue de la noisette à l’amande; trie dans la modernité, refusant ainsi la machine à rouler les croissants, et préférer le geste minéral du boulanger qui forme leurs cornes. Et tout cela dans une atmosphère de compagnonnage (la dimension « humaine ») alors que juste au dessus, lentement, le Caddy de cette jeune femme continue son lent sillage.
le 09 / 12 / 2016