Ce doit être comme ça, logiquement, un bon restaurant. C’est un peu comme l’air de la montagne. On y voit très nettement, on entend tout. Rien ne vient interférer. Même la grande vitrine à travers laquelle la rue défile. Cette rue s’appelle Dénoyez, du nom d’un célèbre cabaretier dont la famille disposait d’une « agglomération guinguetière », lisez par là des « folies » où l’on venait guincher. Dans cette ruelle, vivait en ménage avec Hélène de la Courtille, Casque d’Or. Elle avait alors 14 ans. Aujourd’hui, c’est la « rue des graffitis » que l’on visite de façon organisée. Lorsqu’alors on pousse la porte de ce minuscule restaurant (ouvert il y a peu, à peine six tables), rien ne se perd. Même les voix de la cuisine. On y rigole, c’est le début du service, la serveuse arrive avec le pain tiède de la boulangerie. Rien ne vaut les rires en cuisine, ils sont toujours bons signes. Le contraire est encore plus vrai. Des cuisiniers tendus, pas marrants, sortent une cuisine du même métal. Les plats ne mentent rarement. Ici Jean-Marc Sinceux, le patron-cuistot, est un ancien juriste. Il a du en avoir soupé du Dalloz pour basculer dans l’Escoffier. Son plaisir est palpable, communicatif. Il est même inscrit sur une carte très courte, rédigé comme une ordonnance de médecin, à la hâte. Comme s’il y avait urgence à faire chauffer le piano. Les asperges sont vertes, le yaourt grec et la poutargue en abondance, taillée en copeaux. L’ensemble qui aurait pu se plomber lui même, est activé par la touche acide du citron. Du coup, le plat décolle littéralement avec une amplitude de malade. Le merlu procède du même schéma. Il avance très vite grâce à ces poulies acides qui le font coulisser sur les abscisses et les ordonnées, un joli quadrillage croisant la purée d’amandes, les piquillos, et un « gremolata » (un mélange coupé fin) d’herbes, d’ail, de persil, de citron, d’asperges et de chapelure. La faim pourrait être alors largement rassasiée. Pourtant la simplicité des desserts intrigue néanmoins. Crème au chocolat ? Allons-y pour un bol bien crémeux avec une préparation de gingembre confit et de sirop de mandarines pour faire tanguer le tout. Pendant tout le repas, les clients arrivent, souvent se saluent. La rue défile toujours à l’extérieur comme un contrepoint silencieux et cohérent. Partout où se porte le regard, rien ne déroge. Les vinyles dans un coin, un tourne- disque, les conversations, des caisses de vins, un jeu d’échec en bois, quelques mangas japonais, des livres, de la musique avec cette même structure (mélancolie/acide: the Loft). Lorsque l’on sort du Desnoyez (rien à voir avec le célèbre boucher, Hugo Desnoyer), on se dit avoir trouvé un vrai repère, au tamis duquel, bien des tables nous semblent à présent superfétatoires, déplacées, esseulées.
Les meilleures tables. Dans le coin à gauche, le long de la vitrine, ou encore sur les tabourets du comptoir.
Dommage. Si peu de places, mais entre nous, cela ne fait que renforcer la rareté de l’adresse.
A emporter. L’idée de sortir la crème au chocolat de sa nuit en y ajoutant ce sirop de mandarine, ce gingembre confit.
Le Desnoyez, rue Dénoyez, 75020 Paris. Tèl. 06-61-19-18-31. Fermé le mardi et le mercredi.
Décibels: 77 db, babil faubourgeois
Mercure: au gré du printemps venant, 20°c
L’addition. Difficile de s’y ruiner, au déjeuner 23€, le soir un chouia plus.
Minimum syndical: plat direct 13€