C’est sans doute une bonne nouvelle, le luxe peut cesser, peut- on espérer, de rivaliser avec les dieux, de se cogner dans le plafond et nous bassiner avec l’excellence épelée mâchoires serrées. Il serait devenu plus simple. Plus humble si l’on perçoit les ondes de la nouvelle maison Troisgros. Il fallait tout de même être assez gonflé pour s’extirper du piège lancinant de la maison mère installée face à la gare de Roanne. La tradition certes, l’héritage, mais il y a moment où ça commence à bien faire. Le siècle tournait, pas l’enseigne. Il fallait aller voir ailleurs si l’on y était. C’est ce que décidèrent Marie-Pierre et Michel Troisgros , maintenant accompagné par leur fils César, 30 ans et bientôt de son jeune frère Leo. A Ouches, à dix minutes du centre de Roanne, ils ont trouvé à une nouvelle respiration; une amplitude (17 hectares) qu’ils n’auraient jamais pu espérer. L’architecte Patrick Bouchain les a aidé pendant deux années de longs et dispendieux travaux (8,5 millions d’euros) à trouver un autre chemin. Celui ci est fait de plénitude, de silence aussi. Celui d’une quinzaine de chambres refusant les cinq étoiles (pas de room service, ni mini bar, ni charriot à bagages, etc…)pour des chambres aux lumières douces, coloriées, avenantes. La salle à manger sent bon le bois. Elle vibre comme une guitare. Au passage, la cuisine Troisgros s’est encore déplacée, elle est allé plus loin. On oublie qu’elle s’est forgée dans une succession qui ne fut pas des plus évidentes.Les thuriféraires de Pierre et Jean (le père et l’oncle) ne ménagèrent pas Michel, l’héritier. C’est sans doute ce qui paradoxalement galvanisa sa cuisine, l’émancipa dans un sens plus tranché. Moins dans le consensuel crémé, beaucoup en dentales (l’acide) et en affirmation de soi. Elle a l’esprit libre, vagabond, s’embarquant dans des compositions d’un simplicisme perché comme ce lait truffé Fontana, en hommage au peintre: une sorte de raviole et son pesto de truffe que recouvre d’un voile de lait et qui se laisse« lacérer » d’un trait en diagonale par le maitre d’hôtel. C’est le symbole d’une d’une cuisine qui visiblement n’a plus de compte à rendre. Elle chante façon acoustique, voix nue , avec quelques réverbérations à l’instar de cette « casa croquante » pas évidente à choper avec les couverts mais pleine de résonances (lamelles de carottes frites, chipas d’ail,câpres, oseille,oignon et jus de citron). Parfois, des cuisines dans leurs embardées oublient d’embarquer tout le monde, laissant à la traine l’atmosphère et le service. Ici à Ouches, une nouvelle génération de maitres d’hôtel renverse elle aussi la vapeur. Elle instaure une gentillesse décomplexée, une attention sincère et sans manière. Dans cet univers racé, le voyage à Ouches fait partie de ces authentiques expériences culinaires. Pas de roulements de tambour, ni de frime pompée, juste le mouvement des lignes qui bougent, dans un cadre lui aussi apaisé, décroissant, réinventant une ruralité poétique.
Les meilleures tables.Le dispositif d’une salle ample en U permet la multiplication des bons emplacements. Grosso modo, il n’y a pas de mauvaises tables.
Dommage. l’accès, peut être, mais il s’agit là d’une expérience qui vaut réellement le voyage.
A emporter. Dans la boutique, art de la table, vins et produits.
Maison Troisgros, 728, route de Villerest, 42155 Ouches. Tel.: 04 77 71 66 97. www.troisgros.com
Décibels: 69db, paix sur la terre.
Mercure: 21°c moderato temperé.
L’addition. Comptez 250-300 euros par personne.
Minimum syndical: menu première à 140€ avec un verre de vin à chaque plat.
Verdict: l’expérience de ce début d’année .