Oh, un cheveu sur la langue !

Grand Colbert, boudin

Petite chronique parue il y a peu dans le Figaro, mais là, vous l'avez en entier car la page s'est retrouvée réduite au dernier moment…

 

 

 

Rien n’est plus vivant que le monde des brasseries. Il y a là comme un tournis, une ivresse de la foule prise dans son propre jeu. Ce samedi à Lyon, chez Georges (30, Cours de Verdun 69002 Lyon, 04 72 56 54 54) , les anniversaires plongeaient la salle dans la pénombre toutes les cinq minutes. On applaudissait, rigolait et bissait. C’était sacrément drôle. Et l’assiette gentiment à la ramasse. Au Grand Colbert, à Paris (2, rue Vivienne, 75002, 01.42.86.87.88),  jolie clientèle avec les tables qui coulissent, les beaux couples, des créatures, des égéries, des messieurs. Cet endroit a du chien et l’assiette bataille plus que correctement (un honorable boudin aux deux pommes). Le spectacle est partout, rebondit dans les miroirs. Les conversations se mêlent. A côté de notre table, deux messieurs en pleine forme nous montrent du doigt l’affiche d’une pièce jouée sur les boulevards avec l’index qui fait le va et vient entre la photo et leur poitrine. Hé oui, c’est eux. C’est nous. Bon sang, des vedettes à notre table ! Et drôles et complices. Et bons mangeurs. Et délurés. Un moment, l’un d’entre eux sort une perruque mousseuse et se la pose sur la tête. La conversation s’engage. Nous rigolons d’une mésaventure qui vient de nous arriver : un  superbe cheveu brun  dans le café liégeois. Le garçon arrive. Dans ces cas-là, il faut vite éteindre l’incendie de l’indignation courtoise, remplacer le dessert défaillant. On le mange à reculons craignant la suite de la défoliation. Il reste dans la bouche comme un cheveu sur la langue.

Grand colnert, cheveu
Les compères rigolent. Puis, l’homme à la perruque remisée alors dans son sac se retourne vers moi. <Je vous connais> me dit-il avec l’interrogation vrillée d’un Louis de Funès. Moi : non. Lui : <Si. Je vous connais. Montrez- moi donc votre carte !> Je lui sors une carte avec un nom d’emprunt. Voilà, je vous connais bien ; vous faites des critiques gastronomiques. Très bien. Très justes>. Moi : oui, oui, c’est gentil. Enhardi, il embraie lors de notre départ. <Mais rien à voir avec François Simon. Celui-là , je ne l’aime pas. La dernière fois, il parlait d’une crème chantilly qui faisait pale figure ! Vous comprenez vous ? Moi pas !>. Au Juveniles (47, rue de Richelieu, 75001 Paris ; 01.42.97.46.49), pour un dernier verre, un monsieur un peu fatigué s’adresse à notre tablée. Décidément.  <Dites moi, est ce que j’imite bien Le Pen ?!>. Il s’essaie à un visage de gargouille, débite un discours un peu farfelu. Mais ça ne nous fait pas rire. Son visage est trop mince, ses yeux trop intelligent. On lui suggère de faire Arlette Laguiller plutôt. Il s’y essaie. Commande un dernier verre, la nuit avance, les bars  ferment tour à tour. Laissant son nuage de crème chantilly, son cheveu sur la langue, les formidables saynètes qui se jouent dans l’univers des restaurants.

(photos F.Simon…vous le voyez le cheveu dans le liégeois ?! Cela dit, on se moque, il m'arrive aussi régulièrement d'avoir des cheveux qui trainent dans mes textes)