Napa valley 4/10. À Meadowood, une table de première

...avec un chef éclairé: Christopher Kostow

 

(Pour l’édition 2018 du guide Relais & châteaux, j’ai eu la belle opportunité de partir pour un beau voyage avec le photographe Yann Stofer)

 

Quatrième leçon avec Christopher Kostow

On ressort sonné de tant d’exigences, de perfectionnisme. À  se demander si une table pourrait s’inscrire dans ce paysage et le sillage de ce vin. Si depuis le début du  voyage, nous en nous en approchions régulièrement, c’est sans doute avec l’expérience du Restaurant at Meadowood, que le déclic pouvait s’enclencher.

 Ce restaurant réputé dans la région et bien au delà (trois étoiles au Michelin) s’inscrit dans un domaine spectaculaire, celui du domaine de Meadowood , dont les propriétaires sont Stan Kroenke et … Bill Harlan. On retrouve ici question accueil et confort de séjour, la même exigence, sorte de barre placée si haute que rien ne cloche. Depuis l’entrée, jusqu’au spa (récompensé régulièrement par des trophées des professionnels du tourisme), en passant par le golf, les piscines, les tennis, terrain de cricket, les glaçons du pichet. Le tout est déroulé sur un domaine immense, soit plus de 100 hectares, le temps de disperser des maison-chalets au luxe profond. Ici aussi, les amples cheminées sont prêtes à démarrer, il suffit de craquer une allumette. On pourrait s’enfermer dans la chambre pendant des jours, tant elle semble équiper pour ce genre d’exercice. Histoire de bien faire passer le message, une petite machine à conserver les grands vins ronronne dans un coin à température idéale. La force de ces maisons privées tient précisément dans leur douce injonction à vous laisser faire, vous délier des liens de la ville. C’est en tout cas efficace, car il y a comme une capillarité entre la générosité de l’espace et l’étirement du temps. Il est six heures du matin, le temps est magnifiquement frais, le ciel bleu cristal. La piscine ouvrira bientôt. Vous réapprenez le temps, son ampleur et son souhait d’être inhabité. En vous promenant, vous réaliserez la subtile et impressionnante logistique de l’endroit: navette, limousine, voiturettes, personnel d’entretien, jardiniers, surveillants de bassin. C’est une armée entière souriante et dévouée avec simplicité qui adoucit les contours de votre séjour avec cette notion parfois oubliée, l’hospitalité. Il est rare de voir des personnes plantées derrière le comptoir: la plupart du temps, elles sont devant, vous précèdent. Etre là sans être pesant, mais souriant, calme, comme des diffuseurs de bien être.  On est gagné par cette clémence, le pas se ralentit, les idées s’éclaircissent, même le lin ici ne semble pas se froisser.  Dès 17h30, le grand restaurant est ouvert, filons rejoindre les bienheureux.

 Christopher Pakow, le  chef, semble aussi affuté que l’instigateur des lieux, Bill Harlan. Sans doute sur la même pierre à fusil. Il a ce même rapport humble doublé d’une ambition authentique, dépouillé de toute vanité. Il veut juste faire le mieux possible. On imagine les deux se regardant dans le blanc des yeux, treuillant l’acier de leur volonté. Voici donc une cuisine travaillant à l’essentiel, visant au coeur et tapant sans arrêt la balle au centre la raquette. Il y a bien quelques fleurs -fleurs pour nourrir Instagram, mais le produit qu’il soit huitre, pomme de terre, poulet confit dans un  petit pain, boeuf fumé, foie gras subtil inséré dans une tranche d’avocat émincé…Tout sinue bien, sans défaut ni tromperie….Certes, le menu dégustation a encore frappé dans ses élancements parfois frustrants (c’est si bon, mais c’est déjà terminé !) mais la rythmique du service est fondamentale, joyeuse même…Pas d’attente interminable dans la procession narcissique, mais l’expression d’un chant fort rythmé, presque pop-rock  à l’image des musiques diffusées discrètement dans la vaste salle à la sobriété rurale. Parfois le temps semble suspendu. Lorsque la serveuse découpe avec une tendre méticulosité, de façon transversale une large bougie à la cire d’abeilles. Depuis le début du repas,y mijotait doucement en son coeur un crémeux de fromage de Citeaux. 

Le vin de Bill proposé par chance en demi bouteille vaut tout de même une fortune. C’est l’occasion de modifier son rapport au vin. Ne pas le considérer comme une boisson fort agréable, mais comme une histoire.  Celle que l’on se verse  maintenant avec une lenteur biblique. Comme si nous avions nous aussi creusé des routes, édifié des barrages, traversé l’Afrique et le Monde. Placé une énergie et des moyens sidérants dans ces instants silencieux, purs et quasi bibliques. Comme si nous étions dans ces nuages de fraîcheur qui arrive du Pacifique, ceux là même qui donnent la balance de ces vins hors du commun. Difficile alors de revenir su terre et d’évoquer les tanins et les fruits murs, l’élégance et les touches locales. Le vin devient alors un message. Le corps et l’esprit doivent alors être capables d’embrasser en une gorgée, la nature, la cuisine d’un chef valeureux, le sourire du service et ce grand cru glissant d’une vie à une autre, la votre et de votre voyage en Californie.