Le soleil se lève sur Bellot (Seine-et-Marne) et perce la brume matinale, qui nuance d’un bleu hivernal les vastes plaines de la Brie. Pour rejoindre la Ferme de la Bonnerie à Verdelot, quelques centaines de mètres plus haut, il suffit de franchir le pont et slalomer dans la rue Pascal Jardin. L’écrivain et dialoguiste y avait acquis une propriété dans ce village de 700 âmes. Derrière un long mur de pierre surmonté d’une grille verte, la grande bâtisse familiale revendue récemment par Alexandre, l’enzébreur, défile lentement sur la gauche. C’est au milieu de ses champs, déployés de part et d’autre de la route, sans bordure ni barrière, que Michel Biberon reçoit. Simplement. « Ici, c’est ouvert. Parfois, il y a des gens qui viennent nous demander de cueillir quelques pommes. C’est sympathique. Bon après, il ne faut pas venir avec son cageot quand même », raconte-t-il, mordant.
Autrefois, à Bellot, la cidrerie Mignard employait 130 salariés. Le soir, on se retrouvait « Chez Tonio ». On éclusait les verres en noir et blanc. En 1995, lorsque l’entreprise met la clé sous la porte, c’est un coup dur. Outre les ouvriers sur le carreau, un stock de 100 000 bouteilles, que le nouveau propriétaire, le groupe Pernod Ricard, veut bazarder. « Pas question ! », tranche Serge Mignard, patron de l’entreprise, accordéoniste à ses heures perdues et accessoirement maire du village, dont le grand-père a fondé la cidrerie au début du siècle. « C’est Michel qui écoulera les bouteilles… », exige-t-il, dans une forme de succession. Aujourd’hui, le bâtiment qui abritait la cidrerie est une nécropole de fenêtres cassées. Michel Biberon, lui, produit désormais 100 000 bouteilles de cidre et de jus pomme par an. Plus quelques bouteilles d’un champagne aux bulles fines, dans le département voisin, chez sa femme. « Pas mal pour quelqu’un qui n’a qu’un BEP agricole, non ? », fait-il d’une verve ironique.
Si l’agriculteur paraît installé, ça n’a pas toujours été le cas. Loin de là. « On a commencé avec une camionnette, on chargeait tout à la main, c’était titanesque », raconte l’agriculteur-commerçant, grosse polaire rouge sur le dos et lunettes rondes style 70’s vissées sur le nez. Au milieu des palettes de bouteilles, il décrit le cheminement des 250 tonnes de pommes charriés chaque année dans les machines sophistiquées qu’il a acquises en 2005. Une mécanisation heureuse, qu’il raconte avec humour : « L’agriculture, c’est un investissement à long terme. C’est pour ça qu’on a du mal à comprendre quand les normes changent tous les quatre ans… Moi, ça fait deux ans que je ne fais plus de poire, parce que la nature ne m’en donne pas, tout simplement ! Et ça, il ne faut jamais l’oublier ».
Derrière son physique bonhomme, Michel Biberon daube gentiment sur ses têtes de turcs : ceux qui se plaignent, ceux qui vont trop vite, ceux qui ne veulent plus travailler. Chaque jour, il s’attable avec sa femme à 6h, petit-déjeuner aux aurores. Du haut de ses « 80 à 100 heures par semaine », il observe les petits jeunes, qui viennent ici une fois par an pour la récolte, et décampent aussitôt. C’est la raison pour laquelle, très tôt, il a associé ses deux fils de 30 et 32 ans dans l’affaire. Une part chacun, le gâteau (et le travail) divisé en trois. « Chez les gens de la terre, c’est rare que ça se passe aussi facilement », explique celui dont la famille est installée dans les parages depuis six générations.
Dans les branches de ses arbres nus, l’agriculteur a installé des petites boites de plastique blanc. Et 200 ruches de l’apiculteur du coin. Tandis que certains sont condamnés pour ne pas avoir traité leurs vignes, lui ausculte ses 10 hectares de vergers, calcule les taux d’azote, examine les phéromones et étudie les insectes qui les colonisent. « Être agronome, ce n’est pas être utopiste et intégriste du bio. J’essaie de comprendre comment la nature fonctionne. Par exemple, ça fait dix ans que je ne traite plus les pucerons », déclare-t-il, détaillant son travail pour passer sous convention bio dans les cinq ans. Les chaussures pleines de terre molle, il se penche au sol, aperçoit un ver : « Après la guerre, l’État a organisé un système absurde basé uniquement sur les pesticides, pour produire plus. Et maintenant, on le reproche aux paysans… On ne peut pas dire d’un côté ‘produisez plus’ et en même temps ‘produisez plus sain’ ». Limpide. S’il a toujours respecté ses parcelles, c’est pour produire de la qualité. C’est bien là l’essentiel.
Chez lui, l’authenticité est une obsession. Ses jus acidulés, fabriqués à partir de variétés de pommes anciennes, sont libellés sous l’étiquette « Saveurs Paris Île-de-France » et vendues directement à la Ferme. Des variétés, justement, il y en eu jusqu’à 300 dans la région. Il n’en reste plus qu’une petite centaine. Alors à l’heure où les gamins se gavent de jus industriels, lui défend son terroir, sans chauvinisme, mais avec une certaine fierté. Un savoir-faire qui s’exporte même jusqu’au Japon ! Une connaissance familiale qui habite là-bas fournit quelques tables. « On envoie une palette de jus par trimestre », fait-il, entre les bocaux de confiture et les odeurs de pommes de son petit local. Mais de là à détrôner le mariage de son jus et du fameux fromage de Brie, il reste encore une marge confortable.
Jérémy Collado
Ferme de la Bonnerie 77510 VERDELOT
Site : www.biberon-ferme-labonnerie.com/
Tel : 01 64 04 87 16 / 06 73 78 80 29
Comment y aller ?
A4 sortie Ferté sous Jouarre, direction Ferté sous Jouarre D907 Montmirail-Chalons en Champagne, après Bussière au lieu dit Replonge, tourner à droite direction Verdelot. A 1,5km, premier croisement, prendre à droite direction Villeneuve/Bellot, 250m arrivée à la Ferme de la Bonnerie.
Gilles
28 février 2014 at 16 h 25 minUne excellente adresse dans un coin d’ïle de France à seulement une une heure environ de Paris.
Et si vous êtes dans le coin, passez également à Jouarre acheter du Brie !