Mais pourquoi avais je dit oui à Xavier pour sa paella ? Maintenant, je sais…

IMG_6697Lorsque j’ai dit à mon ami  Xavier  que j’accepterais volontiers de le voir faire sa paella, je pense,  pour être sincère, que je le fis par convenance urbaine et gentillesse naturelle. Pas franchement par passion. La cuisine, pour tout vous dire, je l’adore. Mais à distance. C’est la meilleure façon, pensais je,  de la distinguer, de la situer, de la humer. Et donc d’en parler. On voit ainsi la maison de l’extérieur. On la situe dans son jardin, la nature, le paysage. Si l’on vous fait visiter la buanderie, vous êtes paumé. Pas vrai ?!

Quoique.

La date approchait sur le calendrier, mais elle était si loin que je la laissais grossir sans y prendre garde. La veille,  alors que la journée s’annonçait dans son grondement, j’ai réalisé qu’il me faudrait être aux taquets dès 18h30, et ce, à l’autre bout de Paris. Sur mon vélo, je me suis maudit en pensant qu’il faudrait qu’un jour, je cesse de dire oui sans arrêt, de ne pas avoir le courage de dire non. D’être un grand garçon.

En arrivant dans sa maison, j’ai alors pressenti que j’allais assister à un vrai moment de cuisine.

Je savais déjà que Xavier était un homme entier malgré sa douceur civilisée, son timbre de voix arrondi et distinct (suave, pour être précis).  Les ingrédients étaient là au garde à vous. Une eau frissonnait, la tomate était dans sa brillance. Vous ai je dit que Xavier est un vrai Catalan? C’est même un socio du FC Barcelone. C’est tout dire. Tout en maniant les poêles, les pots de riz (il en a une dizaine de variétés), j’écoutais l’histoire de cette paella. C’est l’histoire de sa famille. Ou plutôt de sa transmission. Sa grand mère, sa maman lui avaient appris les étapes successives. Mais à chaque fois qu’ils la faisaient ensemble, Xavier découvrait qu’elles lui cachaient régulièrement quelque chose: une pincée ici, un zeste là, une minute de plus ici. J’ai senti alors que la cuisine, c’est une histoire de vie. Elle nous permet de la retenir, de donner petit à petit, comme si on savait que cela pouvait prolonger , ralentir, de quelques années son séjour auprès des siens. IMG_6704« Regarde cette seiche, me dit il, il faut faire attention non seulement à la poche d’encre, mais aussi à l’estomac. Il contient un liquide marron. Et ça, c’est majestueux pour corser le bouillon…Il s’agit de le détacher avec beaucoup de précaution ». Il y avait dans le ton de Xavier non point la démonstration d’un ramenard lettré, d’un fanfaron du poêlon, mais plutôt un homme touché, ému par ce qu’il laissait voir. Par ce qu’il donnait.  J’étais ainsi au coeur de sa famille, de ses secrets. Le paprika était déposé au bon moment pour qu’il ne cuise pas trop, le bouillon de crustacés venait de sa Catalogne. A chaque étape scandée par une ébullition, un fumet plus serré, je me sentais comme le témoin presqu’indigne d’une réunion de famille. Les invités allaient venir et la paella était presque prête. Je me suis retrouvé alors totalement chamboulé, comme le captif d’une histoire forte et sentimentale.