Lisa Stansfield:On ne peut pas faire ce métier sans être un peu dingue! »

lady groove

Il y a toujours un nuage autour des légendes. Sans doute celui de notre regard. S’y retrouvent cristallisés, une chanson universelle «All Around the World»(1989), une époque, de la dance, de la soul, de la pop, du groove. Lisa Stansfield a vendu  plus de 15 millions d’albums, s’est essayée à la comédie, au cinéma. Lorsqu’elle traverse le hall de l’hôtel Pont Royal, à Paris, il est difficile de ne pas la remarquer. Aujourd’hui, elle est tout de cuir vêtue: veste de Rick Owens, chapeau aviateur de Armani Black Label Vintage, pantalon J Brand et chaussures Tracy Neuls. Et puis tout de suite, cette femme vive, tranchante  commence à parler avec cette voix rauque, enveloppante…

À propos, cette voix, d’où  vous vient-elle ? Quelle part de Manchester y a t-il dedans ?!

Ah, ce coté terrible?! C’est cela Manchester, une sorte de rugissement permanent né dans la passion, l’excès. Mais vous savez, je chante depuis l’âge de quatorze ans. Ma mère  me disait « va dans ta chambre et chante! « . Elle était fan de Diana Ross et de Marvin Gaye. Autant dire que ces voix m’ont traversée, à l’instar de milliers de sons, d’intonations que vous recevez mais dont vous ignorez les origines. C’est une chimie, une magie. Beaucoup de voix sont venues ainsi se mêler inconsciemment à la mienne: Prince, Chaka Khan, Barry White. Ce furent mes professeurs.

Il y a tellement d’amour dans vos chanson, c’est comme une perpétuelle incantation. La vie vous a-t-elle redonné ce que vous lui avez demandé?

Oui, la vie a toujours été bonne avec moi. Les cartes que j’ai reçues constituaient un très bon jeu. A quatorze ans, j’ai rencontré mon futur mari et producteur,  Ian Devaney. Huit ans plus tard, nous nous marrions et nous ne sommes plus jamais quittés. Mais je ne considère pas cela pour autant comme garanti. C’est tous les jours  qu’il faut travailler sa « bonne chance »…

Votre duo avec Barry White est un grand moment, très troublant de sensualité et de connivence, vous souvenez vous des circonstances de votre rencontre?

Comme je m’en souviens bien! Notre entourage était aux quatre cents coups. Ses gens, les miens multipliaient les précautions, nous étions comme deux singes en cage. « Surtout, surtout, ne le faites pas boire , je vous en supplie surtout pas de vins…Ne faites pas ceci, ne faites pas cela ». On n’a cessé de nous considérer comme des enfants ! Tu parles… Discrètement avec Barry, nous avons pris quelques verres que nous cachions derrière nos fauteuils. Cela a totalement détendu l’atmosphère. On s’est trouvé avec jusque ce qu’il allait de décontraction et de plaisir. On a sympathisé tout de suite et c’est sans doute les raisons de cette duo si complice.

Etes vous devenu amants ?

Noooo ! Quelle question ! Bien sur que non, j’étais mariée. Mais honnêtement sa voix était incroyablement pénétrante. Elle vous faisait frissonner: boooou ! Les vibrations étaient grandes. Et surtout il vous faisait sentir si relax. Il agissait comme un fluide sensuel…

Qu’avez vous fait de tout votre argent ?

Vous savez , je l’ai dépensé avec  mes amis, ma famille. Je les ai fait profiter. J’ai évité de faire des bêtises, de jeter l’argent par les fenêtres. Ca, c’est mon coté Manchester. Par chance, je ne suis pas devenu folle par l’argent, je ne me suis pas retrouvée en train de trépigner de rage si je n’avais pas la place 1A sur le Concorde. J’ai vu cela. J’ai vu les gens qui se tenaient mal avec le personnel des palaces. Ca m’a choqué, c’était pathétique. Je me suis promis de ne jamais le faire. J’ai acheté des maisons, placé mon argent et voila ! Le succès ne m’a pas améliorée, il m’a aidé à  mieux réfléchir.

Y a t il des nourritures qui vous rendent barbares ?

Ah oui, un poulet rôti entier, ça me rend dingue! Ça me change des tripes au vinaigre de mon enfance, j’en avais une sainte horreur.

Changez vous de parfum selon le temps?

J’aime beaucoup la rose notamment chez Jo Malone, et aussi  la bergamote, elle a le don de me rendre joyeuse.

C’est drôle tout de même de se retourner sur les années 80 qui vous ont consacrée, qu’en retenez vous ?

Vous savez lorsqu’on est artiste , on est dans une sorte de bulle, loin de tout. La vie est presqu’irréelle: la scène, la télévision, les studios, les tournées. On n’a pas tellement de contrôle, on avance. En me retournant,  je m’aperçois que je n’ai eu aucune prise sur ma vie, les circonstances la géraient.

Quel inventaire en faites vous, le monde s’est il amélioré depuis ?

J’aurais plutôt tendance à dire qu’aujourd’hui, c’est phénoménal de pouvoir rencontrer les gens, communiquer, voyager en un clic, apprendre les langues dans sa chambre. C’est un formidable progrès. D’autre part, je constate que les réseaux sociaux peuvent dévaster la vie des gens. Vous recevez cent messages doux et enveloppants lorsque vous tombez sur une horreur avançant masquée. Elle vous ruine le moral pour toute la journée…

Qu’est ce qui vous déstabilise ?

Tout. Tout le temps. On ne peut pas faire ce métier sans être un peu dingue.

Parmi vos chansons y en a t il que vous adorez mais que personne n’a remarquée?

Pfou… Je suis tellement incapable déjà de distinguer celle qui vont marcher et celles qui resteront dans l’ombre. Ne me demandez jamais quel est le titre qui peut faire un succès commercial. Du reste, si on le savait, on serait milliardaire depuis longtemps. Une chanson a sa propre étoile, sa propre vie.  Seule la chance peut les attraper.

Dernier album: Deeper, earmusic.