Alors que l’on était sur le point d’abandonner cette ville, la voici qui renait de son désarroi avec cette dignité qui nous subjugue. Les saveurs de la ville n’ont jamais été aussi fortes et soutenues.
Si Venise était un encrier dans lequel plongeaient les écrivains du siècle dernier, aujourd’hui, Tokyo semble la remplacer. C’est une ville prolixe. Elle dit tout. Elle ruisselle de sens. Est ce vraiment une ville ? <Non, répond, Paul Théroux, écrivain et romancier américain, c’est une machine>. Attendez vous donc à être catapulté ! Questions goûts, la tache est sacrément ardue. Parce que vous voilà projeté dans une planète inédite. Au bout de quelques heures, vous renoncerez à vos grilles de lecture occidentales. Elles ne fonctionnent plus. Ici, on trouve les meilleurs croissants du monde, les meilleurs restaurants italiens (et probablement, les meilleurs tables japonaises). À chaque fois que vous vous avancez sur un postulat, celui-ci se dérobe. Au hasard : un déjeuner chez Jiro, octogénaire triplement étoilé, logé dans un couloir sépia du métro. On s’attend à une sérénité sans nom, à un déroulé placide. Ce fut tout le contraire. Le repas composé de vingt -quatre sushis exceptionnels, se déroula sans un mot. Juste des murmures approbatifs et une rafale d’une violence inouïe. Juste trente-cinq minutes avec des stridences dans les poissons bleus, des nappes douces et musquées dans les oursins (uni), le grelot salés des œufs de saumon (ikura), le calme gras du thon (toro).
Après cela, vous remontez à la surface, tombez sur une femme en kimono trottinant, une collégienne lourde de sens. Tokyo est un vrac et ressac permanent avec une nouvelle touche inattendue. Avec les économies d’énergie, on découvre une nouvelle dimension de la ville. La pénombre, l’ombre. On retombe alors en plein Tanizaki et sa mythique « éloge>. La boucle est bouclée. Vous êtes pris dans un nœud, un bondage si vous préférez, dans la position idoine pour être mangé.
Gould
25 avril 2012 at 10 h 14 minUn livre!
Gould
25 avril 2012 at 11 h 02 minOn attend la gestuelle maintenant 😉
Pascal
5 mai 2012 at 13 h 32 minJean-François Sabouret a écrit « Besoin de Japon ». Après avoir lu cet article, j’ai à nouveau besoin de Tokyo. Et pourtant, j’en reviens, mais c’est tout ce que nous procure cette ville : l’abandon des certitudes, le contre pied permanent. On en ressort tonique et zen, fatigué et reposé.