La volupté inattendue : la légèreté de la simplicité

 

 

 

Ces débuts d’années sont terribles. Elles nous roulent à
terre. Nous mettent en boule, nous enfarinent. Nous glacent comme des marrons.
Tout s’agrège, s’agglomère, s’entasse. Les sentiments, le froid, les feux de
cheminée, la capuche fourrée. Les gâteaux prennent du ventre, s’enroulent sur
eux-mêmes, bucheronnent. Les rues sont sillonnées de silhouettes replètes
tracées à larges traits. Il y a comme un ensevelissement, l’enfouissement de soi.
L’hiver nous met en gangue. Il enrobe. 
Il nous surprotège comme si le pire était à venir. Il l’a toujours été,
n’est-ce pas ? Et face à lui, face au froid, face à la déferlante de biens
calfeutrés, de calories, il existe une jolie parade, douce et particulièrement
rebelle : la simplicité.
Attention, je vous vois déjà fuir ces lignes : évitons toute frugalité,
ascétisme et autre posture qui nous font rentrer les joues, le ventre. Et le
cœur. Non, il s’agit de tout autre chose. Une sorte de légèreté retrouvée. Une
résistance à l’engourdissement, au tumulte luxueux.

Poire, noisette et boudin
Résister en ces temps, c’est s’alléger. Monter au front avec la fleur au fusil.
Faire simple à l’image de ces fleurs qui bourgeonnent une fois et s’en vont, la
messe est dite. Cette philosophie de la simplicité a quelque chose en soit, de
tonique. Nous sommes presque à la diète. Celle là même qui nous aiguise les
sens, accélère la concentration. Nous densifie. Amusez vous à vous glisser ne
serait ce qu’une après-midi dans ces habits si légers. Se débarrassez de tout.
Ne garder que l’essentiel. Élaguez dans ses amis par exemple est louable.
Oublier ceux qui nous sont toxiques, inutiles, qui nous freinent dans un
contentement facile. Se rapprocher de ceux qui nous rendent meilleurs. Il en va
de même des boissons, ne s’hydrater que de bons liquides. Quels qu’ils
soient : vins, soda, limonade, eau, thé, café… Pas d’interdits. Imaginer
un instant que le local buccal est un lieu sacré. N’y entrent que les élus, le
trivial passera son chemin : saloperies sucrailleuses,   pains malhonnêtes, crèmes
fourbes, expressions toutes faites. N’en sortent que les mots justes, pensés,
pesés. Même un cri, un souffle, un baiser.

Arles, Chassagnette, legumes 2

Se remettre au centre et reprendre tout à zéro. Vêtements,
mots donc, sentiments, bouche, regards, les pas. Vous verrez comme c’est
fascinant. Vous verrez comme l’on vit finalement de guingois, si mal. On ne
fait attention à rien. Pas même à soi. Le bon mouvement, le beau geste. Marcher
dans la rue comme si l’on était soi et non un passant, un quidam. Revenir en
soi.

A table, même manège. Oubliez la déferlante assommante de
l’empilement (la cuisine de ceux qui ont peur), éliminez, recentrez. Une boite
de thon sur une étagère ? C’est tout ? À la bonne heure. Une jolie
huile d’olive, des pignons grillés et voilà, une tartine de pain de campagne
légèrement toastée, ressortant blonde et de miel.  On peut en faire un repas, un festin. Au début, cela fait
bizarre. Mais vous verrez, il y a dans le dépouillement comme une grâce
retrouvée, une virginité ; une innocence. L’écho des chapelles
désertées.  La candeur des instants
bruts. Dans ces cas-là, si tant est que vous ayez ouvert un joli vin blanc
(Vous préférez le rouge ?! Soit, moi aussi,     rouge alors : allez vers votre goût),
de perspectives radieuses s’ouvrent. La légèreté comme la récompense, celle de
rejoindre les dieux, les anges. Survolez. Pouvoir sauter le caniveau avec le
sourire ; atterrir sur le trottoir avec une drôle de sensation. Celle
d’avoir quitté la terre, le commun, le mortel. La simplicité, la légèreté est
comme une pliure. Il suffit de s’y mettre, de s’y emmitoufler. Il y a là comme
un film protecteur, un accélérateur de particules, la promesse d’un autre
regard. Actionnent alors comme un essuie glace, rejetant les maussades, les inopportuns,
els fâcheux. Place à la vision nette, au regard franc. La simplicité des choses
(des parfums, des étoffes, des écritures) est une sorte de territoire
faussement éloigné. Il nous rend agile, prometteur. On peut ainsi partir à
l’instant, se retourner, découvrir que nos racines ne sont pas si profondes.

Japon 2012, barque au soir
Le
chemin est là avec nos propres choix, nos élancements, nos désirs.  Bouquets de pivoines, marcher sur une
passerelle, envoyer une lettre manuscrite, flâner. Rêvasser sur un banc. Manger
un sandwich dans une serre tropicale. Assister à l’arrivée d’un train sans
avoir une personne à attendre. S’asseoir dans une église Engager la
conversation avec un quidam. Faire un tour de bicyclette à six heures du matin.
Sourire à une inconnue. Se baigner nu. S’arrêter devant la vitrine d’une
vieille épicerie de quartier. Il y avait là une boîte de thon, toute seule.

Photos FS: une recette de parmentier aux poires et noisettes; puis un plat à la Chassagnette, enfin un tour en bateau au Japon, non loin d'Ishinomaki…