Je reviens d’un voyage extraordinaire: La Hague…


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Il y a peu pour M, le supplément du Monde, j’ai eu la chance d’aller dans un coin totalement gommé dans l’esprit des gens, la pointe du Cotentin. Quelle superbe pays ! J’étais surtout bigrement accompagné par le duo de photographe Frankki et Nikki.

Durant, ce petit voyage tonifiant, j’ai rencontré un personnage formidable: Guillaume Pellerin. Hélas, j’ai appris il y a quelques jours sa disparition.So long !

Beaucoup de brochures ne sont guère disertes sur le jardin de Vauville (Manche). Il est question d’un lieu « étonnant ». Il est vrai que pour ramasser en un mot cette étrange planète feuillue, il faut se lever tôt. Comme le font sans doute Guillaume Pellerin, son épouse, Cléophée de Turckheim, et leur valeureuse équipe dans ce jardin exceptionnel situé à Vauville, sur la presqu’île du Cotentin, non loin de la Hague. Si l’idée de vous promener sur un site de retraitement des déchets nucléaires vous donnent des frissons singuliers, sachez qu’en contrepartie, vous partire pour une sorte de nouveau voyage, loin des foules, dans un lieu d’une incroyable beauté, une « petite Irlande », comme on aime l’appeler, un morceau d’Armorique qui aurait dérivé.

IMG_1474Eucalyptus, aloès et palmiers

Ce jardin n’est pas né dans une feuille de chou. Il est le combat constant d’illuminés. Ils appartiennent à cette race étrange au regard bleuté d’une utopie intérieure. A les voir, on sent que la terre bouge en eux, qu’ils sont entrés dans le cosmos. Ils sont traversés. Comme habités par une force étrange, faite d’humus, d’étoiles, de lunaisons et d’ampoules aux mains.

Ce sont les parents de Guillaume Pellerin qui donnèrent le premier coup de bêche en 1947. Sa sœur Marie Noëlle (aujourd’hui décédée) continua cette bousculade savante sur près de 40 000 m2. Il s’agit là d’arbres et d’arbustes à feuillage persistant en provenance de l’hémisphère australe. Cela explique le surnom de l’endroit : le jardin du voyageur. La famille Pellerin a ainsi réuni des eucalyptus, des aloès, des centaines de palmiers dans un une sorte d’enclave subtropicale à 300 mètres de la mer. Vous nous voyez venir, nous avons affaire à un « microclimat », même si ce terme s’applique également au lieu où vous lisez cet article, incluant le dégagement thermique d’une tasse de café et les tensions dorsales d’une semaine de labeur.

Quelques ouvrages savants et joliment illustrés évoquent le jardin de Vauville avec force consonnes et terminologies en latin. Le lieu est en effet riche de 1 200 espèces. Mais la grande force de ce jardin inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques (1992) et classé Jardin remarquable depuis 2004, c’est l’enchevêtrement savant de jardins successifs, imbriqués avec une joyeuse intelligence. On glisse ainsi (le sol est souvent doux comme le ventre d’un chien ; ou de la sauge, si vous préférez) d’un théâtre de bambous à une palmeraie haute plantée en 1994. Parfois, tout en haut, on voit le vent de la mer (et ses morsures salées) agiter les cimes, et pourtant règne en bas un calme immobile. Des rideaux épais veillent au grain. Et à la graine : des dizaines de trachycharpus fortunei et de chamaerops humilis se serrent les coudes dans un mélange consistant.

Plus loin, la nature nous renvoie à nos pliures humaines. Voici des eucalyptus et des cyprès de Lambert. Ils ont naturellement exhalé suffisamment d’acides pour qu’aucune végétation ne puisse venir vivoter à leur pied. Grands consommateurs de nutriments, ils ont proprement fait le ménage, laissant un sol pelé, presque glabre. « Dégage, semblent-ils murmurer, j’emménage. »

 

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Au bout de quelques instants commentés parfois par de jeunes stagiaires éclairés (ou alors, par le maître des lieux Guillaume Pellerin), cette visite devient magique, avec une poésie désarmante : l’allée des hydrangeas, le chemin des fougères (elles sont venues d’Australie et de Tasmanie pour onduler dans le Cotentin) succèdent au jardin d’eau et ses plantes aquatiques.

L’intérêt de ce jardin c’est que son subtil babil s’adresse aussi bien aux béotiens qu’aux férus de botanique. On voit ces derniers cheminer dans l’étourdissement érudit, quasiment la loupe à la main, le cœur en chamade. Il s’adresse à tous : touristes neurasthéniques, scolaires en sortie, les irrésistibles « amis des jardins », des exquis et des exquises.

Une nature ivre d’elle-même

Il y a même un jardin de la Sagesse avec ses camélias et pérores, de gros galets gravés de mots clés (vérité, équilibre, liberté…) avant de passer à la demi-lune, la voûte bleue… Parfois, on se sent presque assiégé par cette nature ivre d’elle-même.

Puis, soudain, comme une oasis, un grand espace s’ouvre. Il est nu. Déposé là comme une aire d’atterrissage pour OVNI bucolique. Parfois dans l’étourdissement de cette découverte, l’euphorie calme des feuillages, on croit deviner un espace lisse et apaisé pour poser son pied. Attention, il y a là une mare recouverte de minuscules feuilles vertes, on peut certes y risquer ses orteils mais le réveil peut être soudain et fort humide.

Qu’à cela ne tienne, il y a là un petit salon de thé et une boutique de jardinier pour les affamés de la carte bleue. Sur le chemin, on a de fortes chances de croiser Cléophée de Turckheim, volubile et vibrante du bonheur palpable d’être là. Logiquement, Guillaume Pellerin n’est pas loin. Passionnant, habité, presque réincarné en professeur chlorophylle, volatile, fébrile au bavardage pétillant. « J’aime penser que l’on peut accommoder ici en France, dans le Cotentin, les plantes du monde entier dans une parfaite harmonie alors qu’elles ne pensaient pas être un jour ainsi réunies. »

A la question – lui qui a tant agencé, créé, structuré (c’est un architecte) : « Y a-t-il quelque chose de démoniaque et d’inavouable que vous ayez commis dans ce jardin ? » Il répond, l’œil pétillant de malice : « Oui, mais pas dans ce jardin… »

Le Château, Vauville. Tél. : 02-33-10-00-00. www.jardin-vauville.fr

DEMAIN: quelques adresses dans le coin…

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