Albert Kahn : dans son jardin d’hiver…

Régulièrement, Jeremy nous entrainera dans des promenades, à la fois songeuses et végétales… urbaines et intrigantes… Jeremy nous te suivons…

On ne vient pas flâner ici par hasard mais par un besoin qui nous attrape, un fluide, une sorte de nécessité vitale. Dès l’entrée, c’est un jeu subtil et délicat, on grimpe quelques centimètres et une poésie apaisante se dégage de ce jardin. Quatre hectares d’odeurs, de tableaux et de promesses qui ne demandent qu’à fleurir dès le printemps. Une petite brume blanche flotte au-dessus de l’eau. C’est une odyssée végétale que l’on découvre, pièce par pièce, un ballet floral : les jardins Français, Anglais, Japonais, enlacés, s’imbriquent puis laissent apparaître la forêt bleue, dorée et vosgienne, plus dense. Voilà une mosaïque imaginée au fil du temps, élargie progressivement au rythme des parcelles acquises patiemment. C’est comme si la nature transmettait aujourd’hui cette imperturbable constance, cette sérénité, cette endurance au temps dont le propriétaire des lieux a jadis fait preuve.

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Soudain, quelque chose nous raccroche à la vie et stupéfie le temps, l’annihile. Un désir exquis, si près du rêve. L’hiver, lorsqu’il fait beau, l’après-midi vient taper aux joues, éblouir par rayons. Il faut alors se perdre dans ces jardins immaculés, s’enfoncer, plonger doucement dans ses profondeurs. C’est un ailleurs, un retrait, un ralentissement baudelairien et voluptueux. Une suspension du monde qui s’agite tout autour et que l’on peut observer sur les visages de ceux qui s’y promènent : habitués du quartier et touristes distraits, ils glissent dans les allées, en apesanteur. « C’est le jardin des corps, en fleurs de leur jeunesse. Tout est fumée, tout est le mirage d’un instant », aurait dit André Suarès.

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Une vieille dame, bonnet de laine rose, s’accroche, impavide, à la rambarde d’un pont pour mieux fixer le soleil qui transperce ses petites lunettes rondes. Une jeune femme lit confortablement sur un banc en teck, emmitouflée dans son magazine. On respire. Derrière, le rond-point ronronne tel un tourniquet moderne incapable de s’arrêter. Seule la rue, derrière, vient briser le silence, mais personne ne l’entend.

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Autrefois, c’est-à-dire au début du siècle dernier, la propriété d’Albert Kahn, qui a entrepris la construction de ces jardins, était bordée par un port tout aussi bruyant. Il faut croire que ce banquier philanthrope et japonisant, hygiéniste avant l’heure, avait décidé d’y implanter ces grands arbres et ces arbustes exotiques pour s’exiler du vacarme qui l’entourait. L’homme s’était rendu deux fois au Japon. Il en a gardé un souvenir merveilleux. Absorbé par la beauté du pays, il a voulu reproduire « un coin de terre japonaise » près de sa demeure boulonnaise, un coquet hôtel particulier en brique et en pierre au 6, quai du 4-Septembre, qui s’ouvrait sur la colline de Saint-Cloud.

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Cet étrange personnage pouvait s’extirper de son lit au beau milieu de la nuit pour coucher dehors, à la belle étoile. Absorbé de solitude, l’ascète végétarien rêve de paix universelle, rendue possible par la connaissance et le mélange des cultures. Ses invités se nomment Bergson, Rodin… Ses jardins sont aujourd’hui à son image, tant il est impossible de les classer catégoriquement dans une case, ce dont est pourtant friand l’esprit humain, qui trouvera ici motif à se nourrir, à s’élever, à danser.

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A savoir : si le jardin est ouvert au public, certes, il est payant (4 euros et 2,50 euros demi-tarif, 20 euros abonnement annuel). Et il reste très secret, mystérieux, à l’écart, presque privatif. Mais il suffit d’adhérer à l’Association des Amis du Musée et des Jardins Albert-Kahn et l’entrée y est libre. Peu de monde, donc. Idéal pour éviter les parcs parisiens bondés et humer l’air des Hauts-de-Seine, à un jet de pierre de Paris. On vient ici pour voyager et apprendre. Le musée est sympathique pour les petits enfants avec des petites animations amusantes. L’association des Amis des jardins Albert Kahn propose régulièrement des rencontres, des visites et des après-midi thés.

Jérémy Collado

Expositions en cours : « A la recherche d’Albert Kahn. Inventaire avant travaux ». Avant la rénovation du musée à partir de 2015, un point sur l’homme et son œuvre.

Toute l’année : des conférences, concerts… Tout est sur le site : http://albert-kahn.hauts-de-seine.net/

Musée et Jardin Albert Kahn : 10-14 Rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt, France. 01 55 19 28 00

  • Vanessa
    5 février 2014 at 18 h 39 min

    Bravo pour ce nouveau blog ! A la hauteur de la « plume Simon ».

  • Pedro
    5 février 2014 at 18 h 52 min

    Quelle poésie ! Ce papier est une vraie bouffée d’air pur dans ma journée sombre et nuageuse.

  • Thien-tu
    5 février 2014 at 22 h 31 min

    Quelle page, j’attaque par cet article non alimentaire pour vous faire mon premier compliment. Quel comble ! Moi qui vous ai lu depuis des années dans le FigaroScope, moi qui ai demandé à William (Severo) de vous demander un autographe tellement j’aime manger vos mots et manger tout court. Je vous trouve exaltant sur la végétation. Ah, si les jardins étaient tous contés par FS, on serait tous plus doués que les Nicolas et Stéphane Marie. Amicalement. Un dernier en majuscule ? CONTINUEZ

  • signs of depression
    8 février 2014 at 9 h 42 min

    Usually I do not learn article on blogs, but I would like to say that this write-up very forced me to try and do so! Your writing taste has been surprised me. Thanks, quite nice post.

  • auvray
    8 février 2014 at 15 h 41 min

    Bravo…
    pluriel est le mot du site enfin une ouverture sur plusieurs sens …très rafraichissant…long vie…
    bonne journée

  • back pain
    11 février 2014 at 10 h 30 min

    I’m more than happy to discover this great site. I wanted to thank you for ones time for this particularly fantastic read!! I definitely loved every little bit of it and i also have you saved to fav to see new information on your blog.