Humeurs: la table d’hôte ou la tentation de parler


Lyon, WMB, salle
Partout, elles fleurissent. Elles sont souvent perchées, chaussées de tabourets hauts. S'étirent dans le bois, s'appuient sur de solides pieds. Elles emplissent l'espace, prennent leurs aises, se déploient et emploient, ce sont les tables d'hôtes. Est-il nécessaire de rappeler leur fonctionnement ? Il date de la nuit des temps, malgré leur mode soudaine. En Alsace, en Suisse, et un peu partout, il y avait souvent dans les auberges ce genre de grande table où l'on pouvait ranger les célibataires, les retardataires, les esseulés ou, tout simplement, ceux qui voulaient de la compagnie, quelle qu'elle soit. C'est toujours singulier de s'y attabler. Sur qui va-t-on tomber ? Un fâcheux, un rasoir, un haut parleur, une gredine, une déprimée, un mythomane, une ravissante… Logiquement, il y a autour de la table toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il peut même y avoir les silencieux, catégorie transparente et conciliante dont je me revendique. Car il faut bien sûr un public pour ceux qui veulent jouer les intéressants, et, pour cela, il n'y a pas plus bienveillant. J'appartiens à la race des badauds. Celle-là même que vous retrouverez sur les scènes de rue. Lorsqu'il y a un bus coincé dans une rue, il y a toujours trois corniauds à regarder. Vous m'y retrouverez, j'en fais partie. La table d'hôtes est donc un merveilleux observatoire. Il y a toujours aussi un débonnaire, qui parle au serveur, histoire d'ouvrir les portes de sa vie aux convives. Il espère que l'on se glissera dans sa conversation, et ça ne manque jamais.
Car toutes les fenêtres sont ouvertes. Et puis il y a les
cassants. L’autre jour, il y avait là un monsieur qui savait ce qu’il voulait,
commandait sobrement, mais régulièrement il manquait quelque chose d’important.
Deux verres de blancs ! Du viognier ! Frais ! Deux pâtés en
croûtes ! Pour une fois j’ai failli ouvrir le bec et rajouter  à son intention : <s’il vous
plait>…