Humeur: Téléralité, le bonheur est il dans l’assiette ?

Il y a peu dans le Figaro, une petite tribune sur ce qui nous enchante à la télé, les émissions culinaires. J'en ai juste pour trois minutes…

Angers, Mets

 

Elles fleurissent comme les pâquerettes au printemps,
rugissent d’audimat et mordillent notre fibre gourmande. Qu’est ce donc ?
Les émissions d’émulation culinaire.

 

 

Si vous n’avez pas regardé la télévision pendant une bonne
vingtaine d’années (ou si vous sortez de prison après une fort longue peine),
le spectacle est assez croquignolet. Certes, avec Intervilles, on rendait dingo
les vaches aux couleurs des sous-préfectures. Elles éclaboussaient la robe en tergal
de Simone Garnier. Aujourd’hui, elles passent à la casserole (les vaches) pour
le plus grand plaisir de la foule. Le spectacle s’est déplacé. Il n’y a plus la
foule pâmée et réunie derrière les ganivelles, houspillant les patauds.
Maintenant, celle-ci est parquée dans ses propres salons avec  les nourritures insidieuses de l’agro
alimentaire, zapette et regards bovins (la chaîne alimentaire, toujours).
Nouvelles vedettes, les juniors cuisinant avec leurs larmes, leurs néo-émotions
(la spontanéité décomplexée) et les talons aiguilles du chronomètre.  Les temps modernes sont pommadés au
beurre d’Echiré, relevés au piment d’Espelette.

Le temps a changé d’habit. Il a même changé de nom :
prime time, day time. Bref, it’s time de cuisiner. La téléralité culinaire nous
rappelle que le temps a pris de nouveaux quartiers. Il se calcule en instant
(<dépêchons nous, il reste cinq minutes !>). Le temps n’est plus
vraiment à la mode. Ou alors, il est ensoleillé, pluvieux, s’entiche de miss.
Or la cuisine a  besoin de temps.
Et même de patience. Et même d’années. Jamais on ne devrait confier un gibier à
un junior même s’il a l’écume de la célébrité dans les yeux, la crainte de
l’attente.  Il lui faudrait passer
par la corvée de patates. Dessabler les saint jacques, les décoquiller ;
équeuter la mâche, ébrancher la coriandre, laisser pousser les premiers poils
de sa moustache… Cuisiner un gibier prend des années et même des jours. Le
laisser mariner, poireauter des nuits à l’ombre de banyuls et de vins lourds comme
le pétrole. La télévision n’aime pas tellement ces casseroles où l’obscurité
règne. Elle veut tout savoir. Il lui faut de la lumière,  l’éblouissance des blocs opératoires.
Du pathos lacrymal, de l’extravagance . Pas du mijoté taiseux, mais du réel
dentifriciel. Un jour ou l’autre on s’intéressera certainement aux gerbes
d’étincelles jaillissant des tronçonneuses à disques, on fera des concours de
sculpture sur des pylônes électriques. Un jeune sidérurgiste hésitant posera à
la Une du Télémagazine. On cherchera dans les Ardennes un nouveau Rimbaud
sachant twitter son spleen en 120 signes.
Arles, Chassagnette, legumes 2

La cuisine, donc, est faite de patience. Et d’indulgence. Or
dans ces émissions, notamment au début, les braves concurrents se faisaient
concasser à la chaîne en un allègre sabotage de vocation. Ça débitait comme le
samedi matin chez le charcutier : en rondelles, en tranches. Rappelant en
cela que le monde de la cuisine est un monde violent, où les colères sont d’une
fulgurance rare. Il faut entendre ces cris à blanc gorgés de haine immédiate,
ces ordres criés comme l’artillerie, ces incantations adjutendesque gorgées à
la frustration sexuelle, la vapeur et le néon.

Maintenant, 
 cela s’est calmé mais toujours avec ce sadisme castrateur propre
au monde de la cuisine (et de l’entreprise) : vachard, cruel, fielleux,
sur testostéroné.

Finalement, ce qui nous retient dans cette téléréalité,
c’est notre propre voyeurisme désenchanté. C’est cet étrange tiraillement  entre un monde fantasmé (généreux et
bon), rêvé (devenir en 90 minutes), illusoire : faut-il nous remettre dans
le citron le niveau indigne des cafés servis au zinc, et des sandwiches dans
les trains alors même  que nous
nous frictionnons la poitrine aux eaux immatérielles de l’Unesco ? Cette
télévision répond à cette accélération pourtant dépassée (on est depuis quelque
temps dans la décélération). Elle résonne en écho, avec les ahanements des
pelotons cyclistes courbés sous la chimie et le knout de l’audimat. On retrouve
ces mêmes visages saint sébastianisés, livides de perles de peurs et de
respect. Accélérés dans les chronos alors que la cuisine n’a jamais été une
course de haies ; juste un monde lent, patient. Déjà, les micro-ondes se
rapprochent de la poubelle. Combien de temps encore faudra t il attendre avant
les concours de ralenti, de montgolfières,  les surplaces des vélos sur les vélodromes, la douce
symphonie des cuisiniers calmes, assis sur les marches de la cuisine.

  • marie
    14 novembre 2012 at 11 h 06 min

    tellement juste.

  • Site de dons
    14 novembre 2012 at 15 h 43 min

    Certes mais ces émissions sont quand même divertissantes

  • Mariane
    15 novembre 2012 at 8 h 51 min

    c’est le spectacle de l’arène revisitée par des gladiateurs des temps modernes, mais cela donne aussi des Grégory Cuilleron ou des Ruben Serfati , des garçons bourrés de talents et qui ont trouvé la possibilité de s’exprimer et de se faire connaître, alors ne crachons pas dans la soupe puisque le public en demande et en redemande

  • Keneth
    15 novembre 2012 at 11 h 07 min

    les cuisiniers aujourd’hui ont besoin que l’on parle d’eux. La concurrence est rude, comment Cytil Lignac serait-il devenu une vedette, Christian Constant malgré ses amitiés avec Jean-Luc Petitrenaud à besoin lui aussi que l’on parle de lui et que dire de JF Piège et de tous ceux qui se prêtent au « jeu ». De l’autre côté il y a tous ces grands chefs qui ont du mal à remplir, boucler leur fin de mois et comme beaucoup s’ils ne sont pas dans de grands hôtels qui peuvent supporter les coûts, malheureusement certain ferme, d’autres se reconvertissent. Il y a bien des années Art et Magie de la Cuisine du regretté Raymond Oliver et de Catherine Langeais nous ont fait découvrir la cuisine à la télé c’était sympa mais les temps ont bien changés.

  • Claire
    16 novembre 2012 at 15 h 27 min

    Depuis le début je rêve d’une épreuve qui se déroulerait sur plusieurs jours, afin de voir une autre cuisine ! On pourrait voir des terrines de pot au feu, des fumets de langoustines, des pâtés en croûte …