Hiver, délices des nourritures de la pénombre

 

 

Exif_JPEG_PICTUREMaintenant, l’hiver, venu, hé bien, nous voulons les nourritures de la pénombre

 

 

S’il existe une période pour les nourritures, c’est bien l’automne et l’hiver. L’été, c’est autre chose, une autre paire de manche (de chemisette). Les plats sont alors volages, superficiels, agacés par tant de lumière. Ils vaquent alors, le vague à l’âme. Maintenant, c’est du sérieux. Du lourd parfois. Les chefs sont comme des dingos à palper les gibiers, les foie gras, la truffe. Ils exultent. Cela dit, il n’est pas blâmable d’ enrégimenter ce petit monde et de ne pas se laisser imposer la musique militaire. A ces longues soirées, il serait louable d’organiser la pénombre. Histoire d’oublier pour de bon, la vision sur éclairée de la table. Depuis quelques lustres (façon de parler), cette dernière n’apparait qu’en lumière violente, comme si elle passait sur une table d’opération. Elle est apprêtée, surmaquillée. Ses nouvelles aventures avec les jurys de tous poils nous livrent en retour des mets fardés, jouant le babillage des couleurs. Elle semblent alors parler fort, articuler à l’usage des mal entendants. Tout en même temps, elle s’isole de la sorte, devient presqu’intouchables à l’image des grands chefs enfermés dans leurs tours, trompetant à la campagne sourde, les contours de leur ego. La gastronomie connait régulièrement ce genre de surexposition. Cela dure quelques temps, puis, par le louable balancement métronomique des histoires, la mode change. Bientôt, les caméras porteront leurs objectifs vers de nouvelles vedettes (les paysages ? Les sages ? Les pays ? Les sots? Les lits ? les laisses ?) . Et nous y croirons quelques instants.

Bologne, Portici, salle,JLRevenons plutôt aux chandelles. Les carnations sont alors admirables, les regards peuvent porter. Et s’attarder. La pénombre logiquement incite le verbe à baisser d’un ton ; de jouer avec les espaces, et les silences. Rejoindre les rires et les voix de gorge. Glisser en quelque sorte sous le velours noir, sa nuit chaude. La pénombre pousse le regard à changer de focale, repenser son approche. Quérir le détail. Du coup dans cet apaisement de l’œil, les oreilles sortent, le nez s’allonge. Logiquement, les visages se modifient : les regards sont plus grands (et donc offerts), la peau s’apaise, l’oreille chasse ; les mains cherchent. Elles pourraient même entrer dans le cirque de l’assiette : pincer les viandes, saucer du bout du doigt (le plus bel hommage pour le cuisinier), s’emparer du verre comme l’on porterait un coup de clairon.

Exif_JPEG_PICTURE Des tissus donc, sur soi (s’habiller est une belle idée), tout autour : drapés, nappes, serviette. Réapprenez la douceur, le contact, l’adoucissement des doigts et des mœurs. Il devrait presque y avoir comme une capillarité. Tout s’harmonise, entre en communion. Les mets prennent la couleur de l’automne, les camaïeux de la campagne et des marchés : châtaignes, marrons, potimarrons…Il s’agit également de chercher des vins avec plus de sombre, des tunnels pourpre et mauves ; des souterrains se glissant sous le ventre de la terre. Piémont, côtes du Rhône…ils sont comme des gros manteaux accueillants. On s’y pelotonne, s’enivre, s’étourdit. J’aime les tendres ivresses de ces dîners des jours courts et des nuits longues.

  • Laurent
    15 janvier 2015 at 9 h 44 min

    Comment donner envie de lièvres à la royale, en relisant Tanizaki…
    Superbe article, merci !

  • wasaboy
    15 janvier 2015 at 10 h 57 min

    de lievres a la royale…ou bien de levres royales…

  • Gould
    15 février 2015 at 8 h 48 min

    Reste plus qu’a s’allonger sous le ciel de l’île aux Moines…