Fred, un autre temps, une autre fois…


Paris, Fred, salle
Paris, Fred, quenelle

Il existe des restaurants comme celui-ci. Et ce, partout en France. Rien n'a bougé. Et pour rien au monde, on ne voudrait que cela change. On pourrait même être certain que des clients de cette maison du boulevard Pereire, à Paris, donneraient leurs économies et leur vie pour qu'on ne touche pas un poil, un osselet, un gratton de cette valeureuse adresse. Tout semble être armorié. De la bedaine des serveurs (joliment briochée et portée comme la hampe d'un drapeau) aux corbeilles à pain, il y a ici une sorte d'hymne à l'immuable. Si on tendait l'oreille, on pourrait entendre des expressions vintage (« se fendre la pêche », « c'est bath »), des prénoms d'époque (Michel, Alain, allez même : François). Il se pourrait qu'il y ait dans la cave des vieilles bouteilles d'occasion au vitrail empoussiéré, au disque effrité. Chez Fred ressemble à son arrondissement (le XVII
eneurasthénique).
Paris, Fred, yuzu

La décoration est bistrotière avec gravures, photos, parchemins, diplômes. Tout s'y déroule au ralenti, comme lorsque l'on déplie une serviette pour s'isoler du monde. La clientèle est extra, bien arrimée, comme si elle tenait la baraque. Elle fait partie d'elle. Retirez-la, il ne resterait que désolation et incompréhension. Enlevez-leur ce restaurant et ils tourneraient en rond dans le quartier, orphelins et aigres. Pourtant, l'assiette ne casse pas trois pattes à un canard. C'est un peu comme un vieux poste de radio. Il met un certain temps à chauffer, puis diffuse une sorte de chant du passé. C'est Paris Inter, la TSF. Du coup, on reste comme frappé de stupeur, presque interdit d'opinion. C'est bien souvent la ruse de ces restaurants tournant la manivelle de la nostalgie si fort (style Le Quincy et sa larme roublarde) qu'on en oublie la musique : quenelle généreuse mais transparente, tablier de sapeur un peu grassouillet et graillonnant, laissant en rade mon compère venu s'encanailler. Il n'y a pas de quoi se lever de la table. Du reste, on a envie d'y rester. De reprendre du dessert (une tarte au yuzu onctueuse mais dotée d'une croûte à casser au burin). Qu'importe, en fait, la mélancolie est comme une étoffe rare. Elle emmaillote. On se contrefiche souvent du reste. Plat un peu plat, manquant de Lyonnais. On voudrait défendre ce genre de lieu, on n'en a même plus l'énergie. On a la flemme, pas la flamme. C'est une France d'un autre temps, la France des rouspéteurs, jamais contents, voulant les fleurs dans les vases et pas dans les assiettes. Voulant toujours plus pour moins cher. L'insatisfaction comme une oriflamme. Adresse indispensable pour se dire qu'avant c'était pas mal, mais qu'aujourd'hui c'est bien mieux. Ailleurs.
Chez Fred, 190 bis, boulevard Pereire, 75017 Paris. Tél. : 01 45 74 20 48. Comptez 60 euros.