Flacons: qu’importe l’ivresse

Parfums 
  

De temps en temps au journal, on me demande un papier sur les parfums. J'accepte avec un plaisir sans nom. Car pour tout vous avouer, c'est une passion, en témoigne cette photo prise ce matin dans la salle de bains. En ce moment, je porte Terre d'Hermès, matiné d'une huile de thym et sauge (herboristerie du Palais Royal), et régulièrement Ambre Sultan de Lutens, voire Tom Ford Oud Wood, Mouchoir de Guerlain, Bigarrade de Frédéric Malle…

Il reste encore quelques heures pour chambouler un être cher, lui mettre le cœur en habit, le tournebouler avec l’apparition d’un flacon rare. Attention, opération de haute volée…

Guerlain y va de ses parfums sur  mesures (prévoir trois essayages). Cette même maison appose vos initiales, Hermès en griffe le cuir  (Hermessence),  Serge Lutens grave le verre. Tom Ford saupoudre l’or en carats sur le Black Orchid, Swarovski revisite l’eau de parfum Soir de Lune de Sisley, Lalique nous revient dans ses diaphanes laiteux…Chaque grand parfumeur a compris que du parfum, l’amateur n’attendait pas que l’unique sillage,  il voulait encore plus (mieux) : une autre dimension, celle de la représentation (de l’incarnation).  C’est tout le rôle du flacon…

C’est souvent un coup d’audace, un vrai risque soyeusement mesuré ( Scarlett de Cacharel ; Fragile de Jean Paul Gaultier, Idole de  Lubin, Flower de Kenzo  ). C’est leur façon de sauter dans l’apesanteur, de quitter le flaconnage traditionnel, étiqueté en son centre. En quittant le monde prévisible, ces maisons tentent de rejoindre le vôtre par leur audace, leur folie ; quelque chose qui tient du sortilège, d’un langage subtilement codé, jouant sur l’estompé, les réminiscences, l’allusion.

"L’exception, nous  explique Serge Lutens, c’est l’à-part, le singulier. Rien à voir avec un vieux vase de cristal qu’on va chercher à la cave, pour poser un bouchon dessus ! L’exception, c’est aussi l’exclusion, exclusion de tout ce qui a été fait jusqu’à présent.  Pour être franc, l’exception aurait été pour moi d’en faire un seul et unique exemplaire, mais ces  flacons édités en tout petit nombre,  font écho aux aspirations des collectionneurs."

Vous voilà donc dans votre parfumerie, dans cette étrange échoppe aux miracles. Que n’avez vous pas fait là ? Il est maintenant trop tard.  Il y a dans la présence d’un flacon comme de certains portraits dans les musées. D’où que l’on soit, lorsqu’on se retourne, un regard vous poursuit. Vous pivotez, glissez à droite, à gauche. Toujours ce regard. Le monde des flacons n’en est pas loin. Il y en a celui qui vous attend, d’autres qui souhaitent chipper la place de l’élu. Toutes les étagères vous regardent : ces petites déesses de verre, ces corsetés et autres corsaires rayés, ces poupées aveugles avançant les yeux bandés,   ces petites chapelles (sweet litlle) Sixtine, cette houle bouchonnée de près, muselée aux millimètres n’attendent que l’avancée de votre main.

Avant de mettre la main au feu, pensez à la personne qui recevra ce flacon rare. Réfléchissez bien, enquêtez même. Rien n’est plus intime que le choix d’un parfum. C’est même un risque fou. C’est glisser la main sous un pull over. Il faudra le faire avec la douceur requise, la justesse impérieuse. Sinon, vous perdrez tout d’un coup. En choisissant un parfum, vous avez décidé de tutoyer l’intime, de basculer dans le baptismal. Chaque matin, chaque soir, comme Aladin tapi dans sa lampe, vous allez glisser sur ses doigts, rejoindre sa nuque, le coquillage de son oreille, l’épaule gauche, l’astragale. Vous entrez en pleine effraction, de façon effrontée, délibérée. Vous, demi-sacrilège, vous êtes dans le secret des amants : il n’y a qu’eux qui connaissent la vérité.

Le flacon sera là dans sa salle de bains. Il sera comme un bodyguard,  le garde du temple, la vigie, la hune, les jardins de l’observatoire. Lui seul sera aussi dans le secret, il sera votre ambassadeur. Lorsque vous aurez le dos tourné, il sera là dans l’impudeur, le silence et l’intime. On ne réalise jamais combien nos gestes vont plus loin que nos pensées. 

  • pierrick
    13 janvier 2010 at 12 h 06 min

    quelle belle plume…

  • Lim
    13 janvier 2010 at 12 h 55 min

    Bonjour. Vous voulez découvrir la « niche des niches » en parfumerie ? Je vous conseille de pousser la porte de JAR PARFUMS, rue de Castiglione : lorsque le plus secret et le plus talentueux des créateurs de bijoux … commercialise son jardin secret.
    Votre sentiment sur cette expérience m’intéresse au plus haut point (c’est un ami)
    Bien à vous

  • Claire
    13 janvier 2010 at 15 h 52 min

    Passion partagée ! Aujourd’hui Serge Lutens est mon seul univers : Madarine Mandarin, Fleurs d’Oranger, Bois Violette … Je ne lui fais des infidélités que pour la cologne, en ce moment l’eau de cologne du Coq de Guerlain. J’ai hâte que mes filles grandissent pour leur faire découvrir cette addiction sublime – complètement liée au gout et aux plaisirs de la table.

  • Jérôme
    13 janvier 2010 at 16 h 52 min

    Bigarrade concentrée de Jean Claude Ellena par Frédèric Malle, un vrai délice…Dans la serie flacons rares : classic 1920 de BOIS (un italien), à tomber par terre. Ces parfums ne se trouvent que dans quelques parfuméries loin des grands circuits de distribution (Séphora, Marionnaud…)

  • tao
    13 janvier 2010 at 20 h 26 min

    vous humer encore… vous croquer à nouveau…

  • doucette
    14 janvier 2010 at 16 h 44 min

    C est pour nous signaler qu il ne sent jamais la cocotte

  • Sunny Side
    14 janvier 2010 at 19 h 39 min

    Envie de vous voler ce texte magnifique !

  • patrick
    19 janvier 2010 at 9 h 54 min

    …et dénicher, c’est possible encore, ce parfum rare et subtil « Ho hang » de Balenciaga !A Quand sa réédition?