Et si l’on repartait pour Osaka…

Ou plus précisément à Nakazakicho, la face cachée d’Osaka, la rebelle. Voici un reportage réalisé pour le magazine Dim Dam Dom…

À deux heures trente de Tokyo, Osaka est la réponse insolente à l’étincelante maitrise de la capitale. On y rigole, mange, parle fort. Dans cet élan d’abondance, elle nourrit même quelques paradoxes, un quartier hors du temps: Nakazakicho…

Il y a toujours un moment où les grandes villes arrêtent de parader, de montrer leurs muscles, leurs courbes exponentielles. Osaka n’échappe pas à cette race tonitruante. Elle souffre du merveilleux atout des complexés: elle se croit moche et industrielle, alors que c’est une bête de scène. C’est l’antithèse de Tokyo l’excellente, de Kyoto la raffinée.  À la tempérance des samuraï, on a dans ce port l’aisance débonnaire des commerçants. Le verbe y est plus cru, les couleurs plus soutenues, les dashis lumineux. Le kabuki s’y est épanoui, le premier théatre vit le jour ici. Les trois-quarts des comiques viennent d’Osaka. C’est la ville des premiers hôtels- capsule, des tapis roulants pour sushis, du shabu-shabu. La ville s’amusa à battre tous les records, même de pollution. Aujourd’hui, elle s’est calmée, mais dévore la vie à travers des plats décomplexés comme les boulettes de poulpe (takoyaki) ou les omelletes de cuisine « pauvre », les grassouillettes okonomiyaki. C’est la ville décomplexée, tonitruante. Connaissez vous l’un des slogans de la ville ? « Kuri gaore », manger jusqu’à plus faim. La troisième ville du Japon, la deuxième mégapole (englobant Kobe et Kyoto, à vingt minutes de là) n’a de cesse de revendiquer ses différences avec la capitale: les sauces soya y sont plus claires, moins vulgaires; dans les soupes de nouilles on glisse du boeuf (à Tokyo, c’est le porc). « Seriez-vous plus civilisé? », demande-t-on finalement avec prudence? La réponse est claire: on incline la tête avec une magnifique modestie. Autre question: pourquoi, dans les escalators, à Tokyo les gens se tiennent à gauche, alors qu’à Osaka, ils stationnent à droite. Alors, on s’esclaffe de rire: « Parce que c’est Osaka! ».

Vous voici donc dans le centre de la ville avec ses immeubles, la discipline piétonnière,  le respect des autres, les quartiers de magasins informatiques (DenDen Town , l’équivalent d’Akihabara, à Tokyo), le respect des autres. Certes, il y a de la vitalité, une énergie palpable, mais vous voulez plus, aller dans les replis, rejoindre les pliures de la ville. Alors il faudra marcher vers le nord, le temps de voir l’urbanisme rentrer ses épaules, s’apaiser, étirer ses galeries marchandes couvertes. Voici le quartier de Nakazakicho, sorte de village préservé. Miraculé même pour cette ville bombardée, incendiée lors de la dernière guerre. Quelques maisons survécurent, protégées, dit-on, par les moines. Le Café AManTo est une d’entre elles. En ces premiers jours d’été, elle est recouverte de végétation, on s’y glisse sous sa chevelure verdoyante. Elle date de près de 140 ans, cahote dans les vieilles poutres de bois, les cloisons écorchées, le mobilier de récupération. Aujourd’hui un artiste culinaire est en pleine performance sous l’oeil d’une caméra australienne. On fait silence car dans un brusque mouvement, le chef au crâne artistiquement rasé, est en train d’éclabousser la table de fulgurances acryliques. On retient son souffle car il s’agit d’un repas consacré à la cuisine des « restes ». Au menu ragout de biche, et omelette okonomiyaki au raton-laveur. « C’est dans l’esprit de notre café, explique Yasui Yusuke, 20 ans, je suis moi même bénévole. Nous pensons que si l’on aide son voisin, on aide le monde. Ici, les écoliers sont accueillis en rentrant de l’école s’il n’y a personne à la maison. On leur offre une boisson. Il existe dans notre quartier une véritable entraide. Lors du séisme de 2011, le café a été le relais de toutes les informations et de conseils ».

(demain, la suite…)