Et si l’on allait retrouver Baden-Baden…

Il y a quelques mois, j’ai eu la chance de me rendre à Baden-Baden avec la mythique photographe Sarah Moon. Le reportage est superbe, il vient d’être édité par Air France Magazine… Je vous en livre ici quelques passages…

IMG_2280Il suffit de se poster dans le lobby de l’hôtel Brenners pour prendre le pouls de cette ville thermale de Forêt Noire. La porte à tambour tourne toute la journée. Comme un distributeur de cartes au casino. Une roulette, un manège de la Goethe-Platz. La terre entière défile. Les cinq continents alternent. Des époques aussi, des générations. Des bambins endimanchés, des curistes cahotant, des gardes du corps la main sur l’oreille. Des grosses autos, des cannes, des alpenstocks, des fauteuils, des stilettos. C’est comme un feu de cheminée, on ne s’en lasse pas. 

 Il se pourrait même, – effet de la cure faisant, massage profond agissant-, que le passé y mette du sien. On y verrait que goutte. Façon de parler. On soignait cette dernière, comme les rhumatismes, les sciatiques, les « jointures » comme précise cette dame volubile de la Communication. Hermann Hesse ne savait même plus qui il était dans cette brassée d’eucalyptus, de camphre et de solitudes claudicantes. Dans son livre « le curiste » (1949), il promène sa silhouette  hésitante entre acrimonie et bonne humeur. C’est selon. Il y voit des êtres mal en point, marchant «comme des tortues». Il y voit son double, sonde les somptueux dîners où d’exquises jeunes filles servent luxueusement des gens qui n’ont pas faim. Cela n’ a guère changé. Très vite, ses humeurs changent. Il prend en grippe son voisin de la chambre 64, un Hollandais qui plus est, marié. «Jamais encore je n’ai rencontré un personnage comme vous, espèce de malade perclus de rhumatisme, espèce de curiste! Vous êtes tellement inexistant que vous en devenez grotesque.»

DSC02229On se dit alors que Baden-Baden n’est pas une ville qui laisse indifférent. Elle est née presqu’ainsi. Sur un coup de poker. Lorsque Paris décida d’interdir les jeux d’argent (XIXeme), les frontières voisines ne restèrent pas indifférentes au désarroi des esseulés de la roulette.  Jacques Bénazet, un Français, ouvrit presto un casino (1838)  dans cette station thermale rhumatisante, située à 13km de la frontière. Il eut surtout la bonne idée de ne pas se contenter des nymphes des plafonds et du velours cramoisi. Il apporta dans ses valises acteurs, chanteurs, activa les courses de chevaux. Cette indispensable crème fouettée à la réalisation d’une bonne forêt noire. Alterner la légèreté et le scélérat, et ne jamais oublier les cerises kirschées. La ville chantonna, joua et s’étourdit méthodiquement. Les nations s’y mêlaient. Déjà les Russes donnaient une dimension qui manquait. Certes le bulbe doré de l’église orthodoxe, mais aussi cette exaltation  fiévreuse  décrite dans un roman magnifiquement méconnu, « Un été à Baden Baden », de Leonid Tsypkin, déroulant le parcours mental de la réalité russe.

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La porte tourne toujours au Brenners. Quelle heure est-il ?  Elle tourne elle aussi. Dans ses retours, elle nous livre les humeurs cadencées de la station. Elle est dans sa rythmique intrigante: Baden Baden, son m(e)assage répétitif, appuyant sans relâche sur le muscle lunatique. Comme une ritournelle, un jeu, de ciel et de terre mélangée dans les doigts pointus de la forêt si sombre. Sur le lac de Mummelsee, tout proche, étiré comme un mare d’encre,  les pédalos verts sapin tracent leurs arabesques sur la surface. Baden-Baden et ses scansions binaires comme pour surligner  d’autres balancements: les divas et Berlioz, les eaux et les spas, Guerre et Paix (Tolstoi s’y carbonisait au casino), Crime et Châtiment (Fiodor Dostoïevski l’écrivit ici), les machines à sous/ les tables de baccarat. Les gâteaux à triple crème/ les biscuits sans gluten, le rouge Méphisto des soieries lyonnaise du Casino/ le vert des sapins… Il faudra marcher, flâner même sur la Lichtentaler Allee et ses doubles éclairages (nous y revoilà encore), les arbres venus du monde entier. Des ginko, des catalpa. Des saules pleureurs. Saviez vous qu’il était déconseillé de somnoler sous ses lianes? Elles sculptent des rêves inconfortables.

Baden-Baden graphique et aquatique, comme les bains découverts par les Romains il y a 2000 ans. Baden comme le Bade, la région qui s’inspira de ce nom, les bains de la région de la Bade.

Ce soir derrière les fusains et les bambous du Caffé Rizzi, un jet d’eau conique se profile dans le lointain, un réverbère en contrechant vient y inscrire ses deux globes lumineux. Un fantôme vous salue bien, converse presque avec vous avec ses yeux clignotants. 

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La porte tourne encore. Cette fois ci, s’y inscrivent le général de Gaulle et les chancelier Konrad Adenauer.  Les y attendent , le 15 février 1962: un consommé de tomate, une dover sole, du vin rouge de France, un vin blanc du Rhin et la réconciliation Franco allemande. Le 29 mai 1968,  « rien ne va plus » ne s’entend pas seulement au casino, mais dans le battement des pales de l’hélicoptère. Cher à sa théorie de la surprise, De Gaulle vient retrouver son général de Massu, histoire de se remonter le moral , esseuler Georges Pompidou et revenir requinqué. 

Car en fait, Baden-Baden n’est  pas une principauté extraite du temps, bulant sous les ombrelles, les rouflaquettes et la crème fouettée. Cette ville de 53 000 habitants est savamment bâti dans la campagne (comme du reste Berlin, Munich…). Elle a été épargnée par la guerre et les bombardements. Jalousée pour sa musique par Bayreuth et Salzbourg, elle dispose du deuxième plus grand opéra d’Europe, derrière l’Opéra Bastille (2500 places). Elle semble tout en même temps nous provenir de l’Allemagne d’avant la Fédération, celle des duchés. Au bord de l’irréel. Il suffit de se hisser le soir venu, sur le mont Mercure qui domine la ville et la vallée, se mêler dans les brumes, presque palper les nuages qui viennent s’emmitoufler ici. Marcher en leur compagnie comme le « Voyageur » de Caspar David Friedrich (1818). C’est à ce moment précis dans l’étrange silence du monde que l’on semble approcher la vraie nature de Baden-Baden. Oubliée l’écho des thermes, des rires et des petits cris répercutés, l’eau tiède des sources, la ville reprend sa respiration. Et ses soupirs.IMG_2286

 Ce soir à la gasthaus Auerhahn, une trentaine de chanteurs sont réunis. Ils font cela pour le plaisir comme tous les mercredis soirs. Detlev Walker,  retraité polyglotte, appartient à l’une des nombreuses chorales de la ville (gesangverein). <Pourquoi ce plaisir du chant? répond t-il en marquant une pause. Sans doute pour retrouver un autre façon de sentir la vie, les sentiments, les paysages et la passations des saisons>. Ce soir, ils chanteront « Waldesnacht ». Le héros se repose dans la foret et goute la fraicheur de l’ombre.

La ville peut alors respirer profondément. Le fantôme de la Goethe- Platz frétille, l’eau de la rivière poursuit sa cavalcade, celle des sources monte en fumée. L’une des particularités de cette dernière, c’est de contenir de l’arsenic. Mais à Baden-Baden, tout est possible, il suffit de doser.

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Baden-Baden Kur & Tourismus GmbH. Service à l’allemande avec flores de plans et documentation, ainsi que la possibilité de visites guidées, location d’attelages….

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