Es, le concerto gâché…

Paris, Es, salle
Lorsqu'on entre dans ce restaurant, on a tout de suite pigé. Avant, même. La façade n'exprime rien. Pas une pancarte. Ni même un logo, un signe, un hello. Cela ne s'appelle pas. Ou si : « es », comme le « ça » freudien. Peut-on poser la barre plus haut ? On imagine les travailleurs du chapeau se masser le menton devant une telle fanfaronnade. Pourtant, le chef, Takayuki Honjo, 33 ans, n'est pas un rigolo prenant la pause, façon Rodin. Il est passé un peu partout : Astrance, ouverture de Quintessence à Tokyo, Noma, Mugaritz, Petit Nice de Gérald Passédat. Logiquement, il faut plusieurs siècles pour s'en remettre. Pourtant non, ce jeune homme est là, presque chirurgical, posé, clair et net. Les plats peuvent arriver, ils ont été taillés comme des crayons de bois.
Paris, Es, saint jj
 Difficile d'échapper au menu dégustation, dans ces restaurants d'auteur, c'est à présent la règle infantilisante. Les assiettes arrivent toutes les 15 minutes avec dedans un haïku de saveurs : saint-jacques poêlée avec une purée de truffes douce et limpide ; déroutant (mais réussi) foie gras poêlé avec un jus de navet blanc et oursin avec pousses de coriandre (comme un vitrail dans la pénombre ou, si vous préférez, Kyoto la nuit, un soir d'hiver). Ensuite viennent les langoustines et cèpes sautés, puis du rouget et des sucrines caramélisées ; colvert jus aux oursins, pâte de coing… C'est une démonstration de cuisine et surtout le déploiement d'une saison qui débute : l'automne. Il faut avoir la tête humble, l'estomac candide et le coeur ouvert pour accueillir cette cuisine de haut niveau parfaitement maîtrisée et s'exprimant clairement. C'est un récital juste avec des audaces désarmantes : une petite pointe de sel dans le foie gras et voilà le plat transfiguré.
Paris, Es, colvert
Bref, la soirée était parfaite. Au début, c'était parfait. Une sorte de communion douce de gourmets appliqués, un vrai bonheur plissé, lorsque arriva une tablée de deux couples. Rassurez-vous, des gens en principe bien élevés, beaux quartiers, parlant bien fort à coups de « ah, ah », de chasse en Sologne, de huit chiens qu'il faut entretenir, de « baraques », de voiture et de flambée, de chasse et de « hé ben moi… ». On se dit alors que, dans notre époque, le respect des autres cultures (à commencer par celle des tables voisines) est bien mal parti. Il fallut qu'une tablée intervienne pour calmer les énervés en tweed. Quel malheur ! Mais quel délicieux spectacle : leur médiocrité vexée.
 
Bref, si vous aimez un récital au piano d'un surdoué, c'est parfait. Sinon, allez parler chasse au-dessus d'un pavé au poivre.
RESTAURANT ES 91, rue de Grenelle, VII
e. Tél. : 01 45 51 25 74. Menus dégustation à partir de 75 euros ; au déjeuner, 45 euros. 
  • emmanuelle
    19 novembre 2013 at 10 h 11 min

    des haïku de saveurs, c’est tellement ça, cette cuisine là. Bien dit.

  • Quentin
    30 novembre 2013 at 12 h 00 min

    Testé sur vos conseils, ce fut un grand moment de plaisir. La seule frustration étant la taille des portions. Oui, elles permettent de sortir de table après avoir saucé une dizaine d’assiettes et sans maux de ventre ! Mais alors on apprend qu’il faut se concentrer sur chaque bouchée, car il n’y a pas de deuxième chance ! Les plats sont éphémères et on regrette de ne pouvoir prendre le temps, se laisser aller à la gourmandise en apprivoisant le caractère de chacune de ces assiettes bouchée par bouchée. C’est le défaut d’une table peut-être un peu trop parfaire, merci à ceux qui y travaillent.

  • caolila
    22 décembre 2013 at 12 h 40 min

    Tout simplement sublime, une cuisine millimétré mais très punchy, on ne s’ennuie pas un moment. On retrouve les influences des maisons visités par ce jeune chef si talentueux. Un moment unique pour mon anniversaire, avec un magnifique pigeon au cacao, un rouget hors norme, des tortellini et sa crème citron recouverts de truffes blanches à se damner… Le seul bémol : la saint jacques, julienne de truffes et poudre de noix de cajou : la noix de cajou a tout emporté. Un superbe menu, le soir, à 105€ (sans la truffe blanche) avec une dizaine de plats. Le point noir : la carte des vins quasi que des Bourgogne en blanc et Bordeaux et Bourgogne en rouge (juste 3 Côte Rôtie, un St Jo, des Brunello en dehors) C’est bien triste, quasi à l’opposé de la cuisine; j’en aurai pleuré, moi qui aime les vins du sud… et puis, c’est plus qu’ultra cher; on pratique les prix des palaces parisiens : peu de bouteilles à 70€, tout autour des 100€ et au delà. On a pris 2 bouteilles, à deux mais le budget explose : bien dommage car c’est peut être ce qui me fera oublier ce restaurant ! Chez Taillevent, les premières bouteilles sont à 28€ et il y a le choix autour de ce prix…