Django. Reda Kateb, la douceur d’un fauve

Et si on sortait un peu de la tête de veau

Il y a peu, Air France Magazine m’a donné la chance de rencontrer l’acteur principal du film « Django »…

 
Ce qu’il y a de bien avec Reda Kateb, c’est sa distanciation. Parfait donc pour ce numéro « hors cadre ». Précédé d’une royale filmographie avec « Un Prophète » (Jacques Audiard, 2009), « Hippocrate » (Thomas Lilti, 2014), « Lost River » (Ryan Gosling, 2015), « Les Beaux Jours d’Aranjuez » (Wim Wenders, 2016), il décroche son premier grand rôle dans le biopic sur Django Reinhardt , réalisé par Etienne Comar. On l’a retrouvé à Montreuil, au bistrot la Station Service, entouré de ses voisins, de ses amis. Encore imprégné de son personnage, mais calme, très calme, il évoque avec un timbre fauve, un débit apaisé, sa vie et même ces beaux habits photographiés dans ces pages….

Se glisser dans des vêtements qui ne sont pas les siens, est-ce aussi entrer dans le goût des autres ?

Par chance, ce sont des  stylistes qui me comprennent. Ils ont un regard plus frais. Et puis, ce sont des choses sans enjeu si ce n’est de paraitre différent de ce que je suis. Ensuite, tel que je suis, c’est une  autre histoire. Je peux m’habiller très différemment en fonction des lieux, des gens…Ici, à Montreuil, je n’ai pas besoin de passer devant une glace avant  de venir ici. Le regard que je porte sur moi en photo est assez distant, je ne suis pas le bon spectateur de moi même. C’est accepter ainsi de ne pas être conscient de tous les changements.
Sur votre visage, il y a beaucoup de paysages. Celui de votre père (l‘Algérie), de votre mère (l’Espagne, l’Italie, la Tchécoslovaquie), construisez-vous vous-même une autre géographie ?

Cela fait longtemps que je ne me pose plus de question par rapport à mon identité, à mon héritage . Ce sont des conversations qui le font. Pour moi, le rapport à l’identité est façonné par les gens avec qui j’ai envie d’être au jour le jour…La géographie, ce serait des musiques qui m’accompagnent sans cesse en fonction des moods. Pour la bonne humeur ? Musiques du Nigéria années 70-80. Pour dissoudre la mélancolie? Je l’accueille tel quelle et place du blues, pour sa résonance.

Dans votre voix, sa tessiture, arrivez vous à localiser les sources, les influences ?

Non parce que je n‘ai pas du tout confiance dans ma voix. Et en même temps, comme vous l’avez compris, je cultive une vraie distance par rapport à moi même. Si j’entends ma voix, je garde quelque chose de désagréable. Il n’y a pas longtemps,  j’ai enregistré un conte africain sur des musiques de Mory Kanté. On m’a dit que j’avais  de la négritude dans ma voix. Ca collait vraiment. Sans être africain, j’ai une voix d’Africain. Je reste dans mon univers, j’écoute beaucoup de ces musiques: elles me renvoient rarement des choses incohérentes avec qui je pense être.
Avec Django, avez vous beaucoup appris de vous-même ?

Je ne sais pas. C’est comme de rentrer d’un grand voyage. On n’en ressent pas tout de suite les effets. J’ai appris des choses de cette communauté manouche, de la vie pendant la guerre, de Django. Je n’arrive pas encore à verbaliser la dessus. J’ai appris la guitare…Le reste ne m’appartient plus, le film appartient aux spectateurs maintenant. Nous, nous avons été traversés par le film, jamais possesseurs. François Truffaut disait aussi« Il faut tourner contre le scénario et monter contre le tournage ».

Curieusement, Django était un personnage pudique dans une époque obscène…

Oui, il le disait dans sa musique. C’était son élégance. Il ne cherchait pas à être en phase. Dans notre époque qui peut être obscène aussi, c’est un point de connexion sur lequel je me retrouve avec Django.

Vous dites avoir été volontariste avec la caméra, où en êtes vous maintenant ?
Je ne suis vraiment pas un dragueur de caméra. Je ne cherche pas à la séduire. En revanche, derrière la caméra, il y a un regard qui sera le fil rouge de l’histoire. Avec la caméra ? Je danse. Je sais qu’elle est là, je joue avec elle. C’est tout sauf un jeu frontal. C’est une partenaire avec qui je vais montrer des choses, en cacher d’autres pour qu’elle vienne les chercher. C’est une danse alchimique. Quand ça fonctionne, quand la justesse du geste adressé est perçu, c’est là où je suis le plus heureux dans mon métier…

Il vous arrive parfois d’être hors de vous ?

J’essaie de me mettre hors de moi le moins souvent possible. Mon remède, c’est l’ironie, même s’il faut parfois régler des problèmes de façon frontale.

C’est Albert Elbaz qui vous avait glissé cette phrase: « fais de grandes choses, avec une petite vie »…

Oui ! Ca m’avait vraiment parlé. Je ne cherche pas une grande vie, mais surtout je ne la subis pas. Ne pas être cynique, ne pas vendre des boulettes à des gamins dans la rue. Les grandes choses , c’est pour les autres, de les sortir d’eux même. Le théâtre, le cinéma m’ont élevé. Maintenant, je donne le change.