Ambre sultan, de Serge Lutens…

… ou l’itinérance voluptueuse

Photo_serge_lutens_2 C’est probablement son parfum. On ne le saura jamais. Lorsque Serge Lutens se met à parler de son Ambre Sultan, lui revient en esprit le déclenchement de ce parfum. C’était en 1968. Il trouva ce singulier morceau de cire que les femmes marocaines  se mettaient dans les cheveux. Il travaillait alors pour Dior pour qui il allait créer une ligne de maquillage. Il le garda longtemps en se faisant une promesse que doivent se faire les enfants. Un jour je serai conducteur d’avion. Ou plutôt de tramway. Ce tramway ce fut donc pour Serge Lutens ce morceau d’ambre, et un morceau de cèdre; les deux thèmes de ces deux premiers parfums (1992 et 1993). Ensuite, le parfum s’est fait tout seul. A l’entendre ce serait presque à son insu reprenant la phrase de Charles Baudelaire, («les vrais voyageurs sont ceux là seuls qui partent pour partir», il pense que les vrais parfums sont ceux qui sentent pour sentir. Une sorte de sentiment. Un voyage en chambre. Sur peau.

Ainsi, il semble encore plus intriguant de deviner à qui est destiné ce jus envoûtant (luxueux), où se mêlent l’antiquité  et une sensualité exacerbée; une sorte de touffeur, un jardin humide où il ferait si chaud: de grands arbres, une pénombre vert empire, résine, ambre, coriandre (surtout ne quittez plus ces lignes, vous allez être perdu, tenez bien la main!), jasmin jaune, racine d’angélique, bois de santal, feuilles de Patchouli;, une sorte de  Fitzcarraldo: souvenez vous du film de Werner Herzog (1982), cette horde  baroque rejoignant Manaus; Klaus Kinski, Claudia Cardinale dans une folie vénéneuse; un prince dans un jardin après la pluie. Est ce donc cela? Au Serge_lutens_2 bout du fil, Serge Lutens ne répond plus. Il a déjà tout dit. Du reste, il ne sait pas. Le parfum ne lui appartient plus. Il est à présent le votre. Et encore… c’est votre peau qui va à présent le faire voyager. Lui n’y est plus depuis bien longtemps. Il ne sait plus, ne fait plus la différence entres les hommes et les femmes («Je ne les sépare plus, dit il pensivement, je parle des gens»). Serge Lutens ne sait même plus d’où vient la lumière. Des sommets encombrés du marketing et ces faux astres? Ou alors de ses bas fonds: «lorsque je suis bas, je suis très bas. Mais la création peut venir aussi bien de là. Je crois beaucoup aux lumières de la dépression, des ténèbres» dans cette société où l’optimisme lui semble si ennuyeux.

Dans cette apenseteur tapissée de velours noir, il voit apparaître des rois mages, ces baroudeurs de jadis. Il voit juste son parfum s’enfuir au galop, s’impatienter puis disparaître. Il ne connaît cette personne qui va porter Ambre Sultan. Car ce parfum peut être parfois rayonnant , lumineux. D’autrefois, il se fane dans la minute. Alors sur cette nef somptueuse, vous y glisserez des êtres de la même nervure. Il leur faudra suffisamment d’humilité pour aimer l’aléa du voyage, cette façon de se laisser «barouder», emporter (remarquez bien ce rectangle de verre,  on dirait une flasque de voyage). Ce seront des personnes d’imaginaire, d’ombre portée, de lumière tamisée. Pas forcément des rouleurs de mécaniques écumant en 4×4, mais plutôt des purs sangs, inquiets, vifs, fuyants, emportés (nous y revoilà). Ils ont trouvé avec Ambre Sultan leur monture, leur nuage, leur tramway. Leur knout, leur songe, leur écharpe. Petit arbre du benjoin de Siam, tolu du Brésil, baume du Pérou. Attention, c’est un peu comme une lampe d’Aladin («Aladinsane», David Bowie). Vous l’aviez offert à une personne, vous ne la reverrez pas de si tôt.

  • briigitte
    29 décembre 2007 at 19 h 02 min

    Mon coeur balançe toujours entre Ambre sultan et Arabie.
    Quel plaisir de lire cet article sur MON parfum !!

  • Ingrid
    13 janvier 2010 at 0 h 25 min

    Oh, M.Simon, parlez-nous encore des parfums, de votre salle de bain, tout ça…