Petit portrait réalisé il y a peu pour le Figaro Quotidien…
Cette pâtissière-confiseuse reconnue jusqu’au Japon nous a reçus juste avant les fêtes entre deux brioches et quatre meringues.
Niedermorschwhir, en Alsace. Il semble selon toute vraisemblance que Christine Ferber soit venue au monde portée par une cigogne. Car elle ne ressemble en rien aux communs des mortels. Elle a été déposée dans cette commune de 565 habitants. Sans doute parce que ce village est délicieux. Lui-même a été extrait d’un songe, colorié avec précaution. Le soir venu, le bourg bouge à peine, s’endort presque sur place. Même ce village semble descendu des cieux. Seul un feu tricolore, tombé lui aussi il y a une dizaine d’années, rappelle que nous vivons dans un bas monde. Il attend comme une apparition. Les fumées montent à la verticale, telles des échelles de corde. On devrait pouvoir monter tout là-haut. Mais ce soir, Christine Ferber a décidé de rester en bas. Dans sa cuisine, son atelier, une dizaine de personnes s’affairent. Il faut se pincer pour réaliser que l’on n’est pas dans un dessin animé. Sur une plaque luisante, une cinquantaine de pères Noël encapuchonnés vous regardent. Enfin, presque. Ils attendent leurs yeux en glace royale. Mais ont déjà le tablier de pâte d’amande, l’iris de chocolat. Pour une fois, celle que l’on appelle la fée des confitures, que l’on célèbre à Tokyo, va partir un peu plus tôt. D’habitude, au moment des fêtes, elle travaille dix-huit à vingt heures par jour. Et ce, pendant un mois jusqu’au 25 décembre.
Ce jour-là, on respire un peu. « Le soir, nous nous retrouvions avec toute la famille dans la salle à manger, à partager le coq farci à la mie de pain et aux abats. Il y a dans cette pièce un poêle de porcelaine. Lorsque je m’adosse à lui, je peux vraiment ressentir la profondeur et le sens de la paix de Noël. Noël, c’est cette chaleur dans le dos. » « Je ne voulais pas faire ce métier » Mais cette année, Christine, ses frères et ses soeurs, leur mère (Marguerite) ont le coeur trop lourd. Le père est mort au mois de mars. Alors, on fera sobre. Ce soir, elle a pris la voiture familiale et nous nous sommes retrouvés dans une belle demeure d’Obernai, la Fourchette des Ducs, une table remarquable de précision et de saveurs. Ce qu’il y a de saisissant avec cette pâtissière, c’est la douceur de sa voix. Elle est même d’une précision troublante. Presqu’une voix d’ange, comme si son univers de crèche, de chérubins et de séraphins avait imprégné son corps et la tessiture de sa voix. Parfois, on est tenté de prendre sa main, voir si elle n’est pas en meringue à la rose. Lorsqu’elle parle, c’est presque à voix basse comme si elle avait peur de rider une pâte, de flétrir un feuilletage, de cabosser les hanches d’une poire.
On n’imagine guère ce que peut être cet univers de sucré effilé, de mousseline de marron. C’est une galaxie faite de silence, de travail et d’attente. Attendre les fêtes, s’engouffrer dedans comme dans un manchon de fourrure. Tout oublier, trouver une sorte de sanctification par le sucre et les fruits rouges, une savoureuse rédemption, une crucifixion en pâte d’amande. « Je ne voulais pas faire ce métier, avoue finalement Christine Ferber au-dessus d’un plat de langoustines royales. Je voulais apprendre les langues et voyager. Mon père en a décidé autrement. C’est ainsi. Mais je ne regrette en rien cette vie de labeur. On a été élevés dans le travail et j’ai toujours connu ma famille oeuvrant inlassablement. » jardin secret Pourquoi les confitures ? Il n’y a pas de réponse. C’était ainsi. Ses parents n’y croyaient guère. Son père aimait même dire à Pierre Hermé, le célèbre pâtissier parisien (sa mère est originaire de Niedermorschwhir), que sa fille menait tout droit l’entreprise familiale à la faillite. Alors Pierre Hermé, qui connaissait au même moment un succès naissant chez Fauchon, à Paris, entraînait Christine à la cave et lui disait : « Ce que tu fais est merveilleux, mais promets-moi de ne jamais abandonner ! »
C’est ainsi que Christine Ferber s’accrocha à ce qui devint une passion. Son père avouera plus tard : « Heureusement que je lui ai dit de faire ses confitures. » On le voit, cet univers que l’on croit baigné dans un sirop d’érable est paradoxalement, comme tous ces mondes doux, régulièrement rêche. Travail, encore, et une humilité sans cesse rappelée. Une fois, on explique à la mère de Christine Ferber, Marguerite, 77 ans, le succès de la « Star Academy ». On y consacre en quelques émissions des inconnues qui ont su bien danser et chanter. On en fait parfois des stars. Mais vous madame, explique-t-on alors à Marguerite, vous avez déjà une star à la maison ! « Ah bon ? ! » (mettez s’il vous plaît l’accent alsacien). « Ben oui, Christine ! » « Ah mais pardöön, Christine ne sait ni danser, ni chanter. » C’est tout dire que la vie de Christine Ferber ne fut pas une histoire en massepain et crème chantilly. Ce fut toujours dur, du travail, toujours du travail. Guère de compliments. Son père était venu du village voisin, Obermorschwhir. Il en était parti parce qu’il ne croyait pas à l’épanouissement de cette petite commune. Il a posé sa femme sur sa Lambretta, une valise entre les genoux et voilà comment ils sont arrivés à Niedermorschwhir, en 1959, reprendre l’épicerie en faillite. Dans ce monde de labeur, Christine Ferber trouve sa force et son inspiration dans le devoir bien fait : le plaisir de voir son équipe heureuse, le client satisfait.
La lumière vient de l’extérieur : ses amis Pierre Hermé, le chocolatier Jean-Paul Hévin, l’antiquaire Philippe Donato, à Colmar, dont la rencontre remonte à loin. Elle était en poussette, lui en vélo. Il la heurta malencontreusement et ce, avec une certaine rudesse, puisque Christine fut éjectée. Depuis, ils se voient régulièrement. Mais c’est sans doute son jardin qui réunit à la fois sa fidélité et sa sensualité. Ce taureau ascendant taureau (« Je n’aime pas que les choses changent, que les gens que j’aime disparaissent, cela me fait horriblement souffrir. ») y passe beaucoup de temps. Il y a plus de 125 variétés dans son jardin. Elle parle sans doute à l’oreille des hortensias, des delphiniums, des lilas et des ancolies. Elle aime ces plantes migrantes qui se réveillent au printemps dans un coin imprévisible. Elle n’a qu’une seule peur, qu’elles se fassent la malle dans le jardin des voisins. Elle aime les euphorbes, leur couleur bleu turquoise. Elle s’y inspire et parfois fait même chavirer une saveur, un parfum dans l’une de ses confitures. Elle qui créa des associations magiques comme la framboise-violette, le coing-pétales de rose, retrouve alors une sorte de plénitude d’un monde décidément irréel. Il est fait de cardamome, de cerise noire et de rhubarbe. De quarts de lune fendus d’un sourire, de pères Noël figés dans la stupeur des épices.
Benjamin Filaferro
20 janvier 2012 at 18 h 23 minCher François Simon, malheureusement Fauchon n’est plus la référence qu’ils représentaient. A chacune de mes visites, je constate la dégradation du service, du goût, etc. On a maintenant une sorte de fastfood pour touristes, des vendeuses recrutées au McDo, etc. Je suis désespérément à la recherche d’une solution de remplacement pour mes fringales …
Ratatouille
21 janvier 2012 at 9 h 43 minYep je reconnais le superbe emballage blanc et doré de votre Confiture (exclusive) des songes !
Je ne sais pas si cela pourra répondre à vos attentes mais mon alternative à Fauchon est La « Crèmerie » rue des 4 vents 75006. Grâce à sieur Simon, j’ai pu me concocter un délicieux « pique-nique » pour assouvir ma fringale du 31 décembre.