Un café avec Serge Lutens

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Régulièrement, ses créations de parfum, comme la toute dernière,
L’eau Froide, bouleversent l’univers des senteurs, sèchent d’envie ses concurrents et galvanisent ses adorateurs.

TÊTE-À-TÊTE Si un lieu reste un décor, pour une rencontre avec Serge Lutens, celui-ci est parfait. Le Ritz. Il y habite régulièrement (chambre 517). Dans quelques semaines, ce palace va fermer pour de grands travaux, et déjà on le regarde comme les feuilles d’un arbre en automne. Chute hypnotique, fascinante. On voudrait imprimer les couloirs, l’interminable qui mène au bar, les angelots des plafonds. Mais déjà il glisse ailleurs. Il vire au sépia. Il devrait poursuivre vers le noir et blanc. Ensuite, c’en sera fini d’une époque. Il est 10 heures du matin. La garde rapprochée du maître est là. Neutralise les allées, sécurise un sofa. J’y suis assis. On me demande de partir. On attend quelqu’un d’important. Je m’éclipse. Assiste au ballet. Serge Lutens arrive alors. Magnifique silhouette racée, ténue, sanglée de noir, ceinturée haut, gilet boutonné, cravate black, comme échappée du Cabinet du Docteur Caligari. Le visage et son infinie interrogation douce. Ces grands yeux étonnés de fakir. Ceux-là mêmes de la solitude qu’il scande comme un métronome, qu’il brandit comme un glaive. Elle l’habite. Il s’y mure, se promène du haut de son donjon. Comme tous les ermites, il raffole du réel. S’amuse des gens, de la vie. Comme d’une denrée rare. Et inutile. Les animaux sauvages sont souvent silencieux. Serge Lutens l’est, au tout début. Mais, comme il n’y a ni questions ni magnétophone tournicotant, il se hasarde. Sonde le silence, les murs. Personne ne le voit. Alors, il pose un pied sur une pierre, puis sur une autre. Puis traverse la rivière tout de go.

 

 Cela ne s’arrêtera pas pendant 90 minutes. La plume gratte sur le papier et lui, suit le chant du grillon. Son visage est dans la concentration. S’y mêlent volupté rentrée, acuité démoniaque, flegme keatonien qui ne demande qu’à s’ébrécher. Il parle avec l’application d’un élève surdoué.

C’est tout de même une légende qu’on n’ose à peine bouger. Il pourrait rester silencieux. Tout défilerait. Il a travaillé avec Richard Avedon, Guy Bourdin, Arthur Penn. Maquilla Twiggy, Jane Shrimpton. Créa cette femme hypnotique, au visage renversé, extrait de la poudre de riz, aux cheveux plaqués (Dior, Shiseido) :  <Je l’ai passée au blanc, je l’ai saignée>, sourit-il.

On ne parlera pas aujourd’hui de l’eau Froide. C’est ainsi. Tout de suite la femme. Celle qui vit en lui, en dehors de lui. Sa (fille-) mère absente, magnifiée, tant désirée ; ce manque d’identité vécu <comme une chance>. Lui déjà balancé, jeune enfant, dans un exil belge. Le pensionnat. Attendre alors que tout est fait en soi. Après, semble t il, tout est fait, écrit. Il s’agit de déblayer entre violence, sexualité, dégager la glaise ; allumer son étoile sans relâche. <Découvrir un socle sous les pieds, moi qui était si vaporeux, un souffle dans une mousseline.>

Serge Lutens regarde tout autour, sent l’haleine d l’hôtel (<tapis de Rabat, la laine du Ritz, l’encens>). Il y retrouve sans trop de mal Coco Chanel qui y vivait. Pense à sa solitude. À  la sienne. Citant soudainement Jacques Chazot, journaliste mondain, vintage 1970 : <Une femme qui n’est pas aimée est une femme foutue>.

La femme, il la voit constamment traverser sa propre enveloppe comme un hologramme. Une apparition dans ses yeux. Celle de Saint- Laurent années 60, rue Spontini . Serge Lutens voit dérouler un film. Il parle comme s’il venait d’être le témoin d’un accident: < Ces filles spéciales qui traversaient le salon… Ces insolences… Elles se devaient d’être arrogantes, de faire face, d’affronter la cliente, la faire céder de ses démons.  Je vois Gisèle, la femme Dior. On lui apprit à savoir comment marcher à l’age de 15 ans …Je vois la femme Balenciaga…Cette façon de laisser retomber, de marcher, avec le poids du buste sur les hanches, l’abandonner sur le bassin, les épaules fléchies. Saint Laurent, lui…, après ses premiers défilés doux et glissés,  organisait… la panique de ses filles. Elles ont ce maintien, cette liberté, cet aplomb avec le poing sur la ceinture.>

Dit il en pressant  ses phalanges sur sa hanche.

<…. Que je n’ai pas. Et qu’elles m’ont donné. La mienne est apparue doucement . C’est la vierge, l’icône. Elle m’échappe tout d’abord…Tient la veste du bout des ongles, se révèle ou se dérobe.>
Serge Lutens reste ainsi quelques instants dans la posture. On a l’impression d’être à Lourdes, il y a des apparitions partout.

 

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Lorsqu’on lui demande quel est le nez de Paris, il répond immédiatement : <L’accordéon. Cet air qui échappe aussi bien des bals musette que la vitre baissée d’un Rolls. Le parfum n’est pas seulement un effluve, c’est avant tout une image. Il y a en chacun de nous un parfum qui traverse l’air. C’est un esprit…>.

Serge Lutens parlera sans discontinuer, remontant l’échelle de sa vie, sautant les barreaux deux à deux, cette aspiration par les eaux , croisant sans cesse cette femme qui le hante, qu’il retrouve dans cette époque sépulturale .Je n’ai pas aimé les femmes, je les ai vécues comme le fit Saint- Laurent. C’est une dualité en moi que je laisse vivre. C’est un couple. Ma part de féminité m’a constamment aidé à créer. C’est du reste c’est ce que je remarque chez certaines sculptrices, actrices, c’est leur part masculine qui les a souvent aidée à vaincre. C’est cette même passion qui agit comme un pollen, essaime…>

Serge Lutens vit depuis longtemps à Marrakech. Une révélation, mieux qu’un voyage en soi-même : < Apprendre à regarder différemment, réaliser que la vase sur le napperon masquait une tâche.>Il ne vient que rarement à Paris. Rien ne lui manque. Ni les déjeuners, ni les dîners.

 Il mange peu ,dit-il, en versant les derniers centilitres d’un coca light, des bonbons, du chocolat, du fromage. <Je ne fais pas de régime, c’est ainsi. Cela alimente en moi une tension, une acuité. Ma propre passion.>. On ne  l’imagine guère s’alourdir de plats en sauce et de propos de table.  Il actionne ainsi depuis enfant : <Observer, assimiler, comprendre et donc souvent refuser !>. On l’imagine se levant, tournant les talons sans dire un mot. Se retrouver à l’air libre dans un beau rire neuf.

 Il est seul. Et monologue. L’écoute le rend encore plus prudent et précis. Il laisse partir son propos comme des chevaux sauvages. Son verbe est impatient, tourne parfois en rond, cherche l’image, s’y accroche, repart, s’apaise. Jamais bavard. Dans l’essentiel, sans doute l’univers des parfums, leur soudaineté vaporisé. Serge Lutens n’aura jamais été vaporisé. L’air ne l’a pas dilué : <Bien au contraire, j’engrange, j’accélère !>

Rien ne l’arrêtera sauf un client sonore parlant rudement au téléphone. Une sorte de catcheur sans adversaire, ni corde, ni ring. Mais en bedaine, en sans gêne. Sans doute, un signe, un caillou dans la marre, les pieds dans le plat. Dans ces cas-là, il faut se retirer, regagner ses rives. Laisser Serge Lutens, à lui-même, c’est comme lui faire un cadeau.

 

 

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    25 mai 2012 at 10 h 23 min

    Magnifique…Merci.

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