La conversation fait partie de la nature des restaurants, voire plus encore des brasseries et des bistrots. Il y a là comme une seconde nature, une communion sonore qui s'amplifie au fil de la soirée. Parfois elle baisse (lorsque la bouche est pleine), puis remonte (« A ta santé ! »), chemine, exagère, poudroie. Il est des lieux magnifiques dans une construction quasiment gothique des vocalises. Le décor joue lui aussi en contrebasse (le plancher), cymbale (le réfléchissement des miroirs), basson (les plafonds), caisse claire (les céramiques). Il appartient au charme des grandes villes de réaliser ces messes païennes sans liturgie, ni dieu ni maître. Chacun a son esprit : cantine sarde, restaurant chic milanais, pho vietnamien, kebab frites, camion à hamburgers, sandwicherie, salon de thé, bar d'hôtel… Je suis sûr que vous avez en tête la musique qui s'en détache : vous pourriez même les identifier sans difficulté !
Pourtant, parfois, la clientèle se méprend. Ainsi, au tout nouveau Kinugawa de Paris, rue du Mont-Thabor, repris depuis peu, retoiletté et portant beau, le public, pourtant avisé des choses de ce monde, mais probablement embarrassé de son propre ego rutilant, parle ici comme dans un cocktail : bruyamment, avec cet engorgement propre aux affranchis. Du coup, les nourritures, si dignes dans leur discrétion, semblent se tasser sous les défilés martiaux de l'assurance citadine. Cela devient une pétaudière, navrante pour les amateurs de bande-son estampillée. Comme quoi, l'assiette peut être bonne, mais le public pas tout à fait au point.