Pour Air France Magazine, j’ai eu la chance de rencontrer il y a quelques mois ce graphiste de haute volée…
Cet homme qui se définit lui même comme un funambule pourrait presque se présenter sur un fil tendu. Tel un « Y ». Car le graphisme est son royaume. C’est une des références majeures formée auprès des plus grands, glissant du Musée d’Orsay a de multiples collaborations : la montre Slim, le foulard « Fragments d’un discours amoureux », l’affiche du concours de saut pour Hermès; nombreuses affiches d’exposition dont la sienne: Typorama (2014. Musée des Arts Décoratifs). Il nous reçoit dans son atelier de la rue La Fayette, à Paris. Habillé sobrement (pull à col marin, pantalon velours gris), chaussures montantes. Mains nues.
Comment procédez vous pour créer une montre, une affiche? En immersion profonde ou en effleurant le réel de façon transversale?
Alors qu’on devrait faire le contraire, je vais du plus complexe vers le plus simple. Je fonctionne à l’épure. Je m’inspire pour cela du travail des sculpteurs comme Brancusi ou encore Giacometti. Lui, procède par élimination. Il n’accumule pas la glaise. C’est une ligne de conduite qui exclut tout superflu et décoratif. Dans la montre Slim de Hermès, il fallait ainsi accompagner le concept de légèreté et de finesse.
Précisément, y a t il des éléments dont vous vous séparez à regret ?
Humm…Ce n’est pas toujours facile de faire des choix. Je procède par aller/retour avec une obsession: l’unité. Chaque chiffre a sa vie: les 6 et 9 sont jumeaux. Le 2 n’a rien à voir avec le 4, le 7 a sa diagonale. Je pourrais faire un chiffre plus beaux que les autres en rajoutant un trait, mais à cet instant, il se désolidarise des autres et quitte l’harmonie.
Vous qui travaillez l’épure sans cesse, y a t il des espaces de votre vie qui compense cette ascèse par une dimension baroque, touffue?
Non. J’aime le baroque dans l’architecture, dans l’écriture avec notamment Garcia Màrquez, mais je reste fidèle à ma démarche de funambule: pas trop lourd, pas trop léger. Je peux me passer de nombreuses choses. J’ai autant appris à voir qu’à ne pas voir et ne pas me polluer.
A part le chocolat, comment nourrissez vous votre oeil ?
Ah ! j’adore le chocolat. Il m’apporte de la vitalité. C’est un moteur. Je suis d’autre part quelqu’un d’urbain. J’aime le chaos de la ville, ce qui est beau, riche et laid. Je lis beaucoup, je vais dans les musées. La danse m’a beaucoup apporté, dans l’épure, le mouvement, la conjugaison de tous les arts comme avec Cunningham.
On a l’impression que vos lettres ont suivi l’Actors Studio…
J’ai toujours essayé de comprendre comment on pouvait apporter le mouvement à ce qui est pas essence immobile. Ca me fascine. Apporter la notion de rythme, de déplacement, la profondeur, la perpective, personnifier le saut par exemple. Ne pas chercher l’illustration que je trouve parfois trop bavarde, trop littérale, j’ai envie que l’imagination travaille. Je me suis donc attardé sur le A. Nous avons ouvert les obliques et ainsi créer un mouvement, respecter, épouser l’effort du cheval et du cavalier.
Travaillez-vous le vide?
Oui, comme les architectes. Il sculpte le vide, le façonne. Ce n’est pas l’absence, mais tout l’art de la typographie: jouer avec l’ombre et la lumière. A cet égard, j’aime bien l’effacement, l’allusif, ne pas tout dire pour que l’oeil entre en scène, complète ce qu’il manque. Vous trouvez cela avec Matisse. Avec Hitchcock. Leur grand talent, c’est de suggérer, de vous entrainer.
Sans parler du graphisme militant, quel est dans votre travail, la dimension de l’engagement humain?
J’aurais du mal à être persuasif dans l’engagement politique, j’y serais même maladroit. Pour reprendre Sartre, on ne pas de belles choses avec de beaux sentiments. En revanche, loin de l’activisme, tous les jours se crée avec nos interlocuteurs un véritable engagement fondé sur des valeurs, le respect de l’autre, des différences. On est même tenu d’apprendre. Sur le saut équestre, je n’y connaissais rien, et j’en avais un intérêt réduit. Il s’agit donc de se mettre en difficulté, en vulnérabilité et ensuite avancer ensemble.
Le graphisme semble être de nature docile, traduit-il à la lettre?
Pas du tout. Je crois même volontiers que lorsqu’on a longuement travaillé un sujet, s’en être éloigné pour mieux y revenir, arrive le moment de la conviction, de la compétence. Il s’agit donc de défendre une idée, quitte à entrer en désobéissance, c’est presque un devoir. Non point par provocation, mais pour mieux avancer.
Quel est votre mauvais goût?
La panique. J’aimerais bien être plus apaisé.
Y a t il des lettres qui vous résistent?
Pas vraiment. Le K présente une difficulté attrayante, alors que le O et le i, apparemment simple sont plus difficiles car il y a peu d’éléments à l’intérieur…
A force de regarder, vous qui voyez loin, que voyez vous?
La lumière.