Hummm…. un petit coup de chalumeau sous les pieds ?

La tyrannie du chalumeau

Ca les démange de plus en plus. Les chefs ont des envies pressantes. Hâter un plat dans son expression, l’activer, le précipiter comme on le ferait d’une sauce pour mieux l’entendre s’exprimer. Il y a là comme une maladie du siècle : celle d’en finir. De voir les résultats, de casser la tire-lire pour voir ce qu’il y a dedans. On a connu des temps plus paisibles, faits de pénombre, d’espoir. On attendait même les saisons, les prunes, les mirabelles, la truffe. Au Japon, on arrive même à dissocier une vingtaine de saisons avec ,- êtes vous bien assis?- ce délicieux instant de l’avant saison : les asperges arrivent demain. Le gigot prenait le tortillard (sept heures), les daubes se laissaient oublier, rien ne valait les plats de la veille.

Disons qu’aujourd’hui, on a autre chose à faire que poireauter. Au vif, au clair, au sabre, à l’attaque !  Finis les points de suspension. Il nous faut de l’interjection, de l’exclamation : du chalumeau. ce petit ustensile râblé est devenu chez un chef aussi fréquent qu’une boucle d’oreille et qu’un jean à taille basse. Il y a là un côté bucheron, soudeur, ferrailleur. Nous voici dans la virilité d’un plat que l’on extrait de sa vie pépère pour l’envoyer ad patres : finir une crème brûlée certes, une tarte au citron itou, mais maintenant tout y passe. On flambe la viande avant cuisson (on la « marque »). Et à présent, les légumes. Le poireau, alors qu’il n’avait rien fait, est le premier visé. Il nous arrive un peu sonné, la bobine un peu noircie et tout estourbi de ce traitement radical. On veut pousser le produit dans ses retranchements, lui sortir une autre vérité avec cet étrange paradoxe de livrer la touche pataude de la brulure façon tatouage. On joue avec le feu. On est alors à deux doigts de la faute: le brûlé nocif à faire hennir les puristes. C’est sans doute cela l’effet de cette flamme bleuté, s’extraire d’une génération, rock’ n’ rolliser le poireau pour qu’il chante plus fort. En fait une éternelle rengaine, celle du « Fais moi mal Johnny ». Magali Noël  (1931-2015).

  • XavLaz
    12 octobre 2015 at 16 h 22 min

    Pourtant, François, un bon oignon brûlé (dans un pot au feu à l’ancienne), ça change le goût et la couleur ! En fait, le poireau étant de la même famille, il faut voir dans ton poireau brûlé une variation tentée par des passéistes audacieux. Un peu comme le pain à la figue avec le foie gras, en mémoire du gavage pré-maïs.
    Bye (et ne vois aucun double langage dans mon commentaire !)