Il y a peu, pour M, le magazine du Monde, je suis allé dans cette adresse nostalgique. En voici mon sentiment…
Oh celui-là, vous allez l’aimer ! Sans doute parce qu’il glisse lentement vers un autre siècle, celui auquel il appartient. Le XXe. Voire le XIXe. C’était, en 1893, un « bois et charbon ». Il ne faut pas beaucoup de mémoire pour imaginer ce genre d’adresse diaphane, un peu écaillée, dans son jus, désarmante. On pourrait y tourner un film en noir et blanc. On y serait mieux que des figurants. Des acteurs fourchettant, remerciant le bon Dieu, commandant sans raison des plats déconseillés par la Sécurité sociale.
Avant qu’un jour proche un bracelet nous l’interdise et actionne un malus, il est grand temps de commander des œufs en meurette, des escargots au beurre d’ail, du boudin noir poêlé, des pieds de veau vinaigrette et autres saucissons pistachés. Cela semble terrible et presque violent, ces entrées d’un autre temps, pourtant dans l’assiette ce boudin noir est d’une douceur confondante. On est déjà dans l’ailleurs, dans le jadis. On entendrait presque le mécanisme d’une pendule, des mots d’autrefois. Mais non, c’est bien aujourd’hui le poulet aux écrevisses, le rognon de veau émincé, l’entrecôte poêlée marchande.

La clientèle est du même coupon. On n’a pas besoin de lui demander prudemment pour la deuxième fois si elle prend l’apéritif, elle y est déjà. Tablées rubicondes et joyeuses, calmes et tendres, il y a de tout comme dans un bistrot avec ses habitués justement jaloux de leur bonheur. Les desserts ont de la tenue, l’éclair au chocolat traîne délicieusement en longueur, la crème vanillée de Jean Delaveyne est à tomber. C’est étrange, mais on a presque peur de ressortir, de rebasculer dans notre siècle ; certes, il est honorable, mais il a la générosité plus chiche, les effets calculés, tout en expression, avec parfois ce manque de sens qui nous rend légitimement nostalgiques.

Place de choix
Dans ce petit Lipp de banlieue, les tables dans la deuxième partie de la salle (notamment celle planquée derrière l’escalier à gauche) sont très bien. Il y a même, en franchissant la cuisine (!), un salon accueillant jusqu’à 18 couverts.

Dommage
C’est à dache mais, une fois arrivé, c’est un vrai plaisir. On se sent ailleurs avec les gravures, les diplômes distinguant le maître de céans, Christian Millet, président des Cuisiniers de France, assisté par ses filles Vanessa et Sabine. L’environnement de HLM grisâtres est tristounet, mais rehausse le bonheur d’être au chaud.
A emporter
La recette de la crème vanillée, onctueuse comme un après-midi de juin…

Passage à l’acte
Le Pouilly Reuilly, 68, rue AndréJoineau, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis). Tél. : 01-48-45-14-59. Fermé sam. midi, dim. et lundi soir.
Décibels
Lorsque la salle est pleine, ça fuse sec : 83 dB ; sinon, il est des soirées paisibles aussi douces que le filet d’un poste de radio.
Mercure
En péréquation avec l’extérieur…
Addition
Comptez s’il vous plaît de 40 à 50 € à la carte. Autant y aller. Jolie carte des vins à prix cléments.
Minimum syndical
Le menu à 32 €, proposé midi et soir, tient la route.
Verdict
michel
12 juin 2015 at 19 h 26 minLe fils de Jean Millet ? il me semble que c’est lui sur le portrait de MOF.
supertoto
12 juin 2015 at 23 h 01 minBeau reportage, jolies plumes, belles photos.