Ah, j’avais oublié ce portrait de Yves Camdeborde

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Tenez, j'avais oublié ce portrait d'Yves Camdeborde que le Figaro m'avait demandé début septembre. En fait, il me manquait une photo de lui. Prenant un café l'autre matin, à la terrasse des Editeurs, je l'ai vu se pointer. Un petit signe, une petite photo et voilà un texte un peu longuet mais fidèle à pensée…
Il a le phrasé des gens précipités. La meilleure façon de réussir une sauce au demeurant. Prenez un liquide assez tranquille qui poireaute de façon pépère avec ses parfums et ses épices, et, pof !, versez-le sur une plaque surchauffée. Vous voilà avec une splendide explosion, un concentré immédiat, une haute définition. Voilà un peu notre Camdeborde, 46 ans, propulsé sur TF1 avec son bon accent landais, ses yeux incandescents, son ardeur aux petits oignons. À peine est-il arrivé devant son restaurant qu'il extirpe sa bonne bouille de son casque de moto (un Piaggio 50 rouge). Il jette un coup d'oeil à sa terrasse. Elle fait courir les gourmands du monde entier. À tel point que l'hiver venu, lorsqu'il gèle, on peut y dîner avec de confortables couvertures écossaises sur les genoux, la tête au chaud et le bec dans un morgon de chez Lapierre, un champagne de Michel Drappier.
On touche alors l'une des plus grandes voluptés du monde gastronomique. Cela s'appelle le Comptoir du Relais. Cette table nerveuse, savoureuse, résume toute la philosophie de la nouvelle génération avec un seul mot d'ordre : la liberté ! Pourquoi ce mot étrange dans un monde aussi drôle et rayonnant ? Tout simplement, parce que depuis des lustres (les années Gault Millau, 1970), la gastronomie est aux ordres. Celles des guides, des grands chefs et du gastronomiquement correct. Si l'on voulait jusqu'alors réussir et remplir ses banquettes, mieux valait baisser les yeux, fayoter avec les chroniqueurs, vouvoyer le gigot d'agneau plutôt que tutoyer le boudin noir béarnais. C'est à ce prix que souvent l'on ramasse l'étoile Michelin (le trophée encore le plus recherché).
« Camde », comme l'appelle sa meute colorée de copains (Basques, rugbymen, vignerons, restaurateurs, écrivains : comptez trois autocars entiers), le sait trop bien. Lui a morflé. « Pourtant, j'ai été élevé au Michelin, c'était ma fixation… » Combien de fois il a dû ravaler sa salive, se mordre l'intérieur des joues. Pas d'étoile, et surtout la condescendance navrée de ses collègues. Au rancart, la deuxième division. Tout juste une mention dans le Guide rouge, alors que sa table est, grosso modo, la table préférée des Parisiens, la coqueluche des guides étrangers. Neuf tables en salle, dix en terrasse, certes, mais de 250 à 350 couverts par jour, sept jours sur sept ! On a dû lui conseiller de faire profil bas, de rire et de parler moins fort, mais, que voulez-vous, une nouvelle génération, dont il fait partie, vient de prendre le pouvoir.
Elle a longuement attendu. Maintenant, c'est chose faite : des garçons comme Cyril Lignac ou Inaki Aizpitarte (le Chateaubriand, à Paris) sont plus célèbres que des légendes hautement respectables. Ils devancent dans les classements de notoriété des chefs magnifiques comme Michel Guérard, Pierre Gagnaire, Olivier Roellinger, Michel Bras… La télévision, et sa loupe parfois grotesque, son laser lacrymal, est passée par là. Le monde y est certes parfois à l'envers : « Tu verras, lui confia, sans rire, un des pontes de l'émission, tu vas être célèbre, ton restaurant va être complet. » Il l'était depuis dix ans.
Chaque midi, une queue se forme au carrefour de l'Odéon. La gloire est là depuis longtemps depuis sa Régalade, ouverte en 1992, rue Jean-Moulin, à Paris. Douce revanche La recette est classique. Des études bâclées à Pau, une formation au débotté : il fallait choisir vite fait entre plombier, mécano ou cuisinier. Va pour les cuisines. À 14 ans, dans ces cas-là, on file comme un dératé. On ne se retourne que lorsque l'école et la maison sont loin derrière. Ensuite, c'est la lente escalade des marches. La cuisine, malgré ses fameux coups de feu, est un monde de lenteur. On passe des mois à éplucher les patates, à épiler les langoustines. Il faut une patience d'ange et la peau du derrière bien épaisse. Passer des concours, aller se faire cuire un oeuf, travailler 14 heures par jour, dormir tout le week-end.
À 17 ans, on a déjà quatre ans de métier derrière soi. Voici Camde à Paris, au Ritz, avec de sacrés lascars : Guy Legay et son second, le truculent Christian Constant. Ensuite la Tour d'Argent, la Marée puis le Crillon avec Constant et ce jusqu'en 1992. C'est à cette époque précisément que la nouvelle génération va s'implanter : Thierry Faucher (l'Os à Moelle), Thierry Breton (Chez Michel), Éric Fréchon (alors à la Verrière, près des Buttes-Chaumont, 1995). Tous ont été formés dans les grands palaces mais, petit souci, ils veulent être libres. Et voilà comment, au prix du mètre carré, on retrouve ces jeunes chefs dans les arrondissements accueillants de la capitale (XIXe, XVe, XIe…).
Ils ont déjà quelques modèles : Lulu à l'Assiette, rue du Château, et surtout Michel Picard (décédé en 2006), du restaurant Astier. Ils vont traverser les années du désert et celle de l'amertume (jusqu'en 2000). Curieusement, ces bistrots gourmands, qui font maintenant partie du paysage gastronomique, sont souvent restés confinés dans la marge ; comme s'il existait une société politique (les restaurants sérieux et étoilés) et une autre société, plus civile, avec ses forbans, ses indépendants. Et son public.
Le public, c'est précisément ce que recherchent à présent les grands chefs, dans un prévisible ressac. Ils ouvrent désormais des bistrots (Ducasse : Aux Lyonnais, Benoît…), des Ateliers (Joël Robuchon), se rapprochent (histoire également de nourrir leur image de marque) de ceux qui vont au restaurant en payant leur addition. Et qui regardent la télévision. C'est une douce revanche pour l'ancien pestiféré Yves Camdeborde. Il fait bien attention de ne pas prendre le melon (pour l'avoir trop vu dans son propre milieu). Il se resserre autour de sa femme, Claudine (avec qui il gère l'hôtel du restaurant, le Relais Saint-Germain), et de ses deux enfants : Baptiste, 20 ans, et Quitrie, 14 ans.
Il revendique une cuisine d'« auteur », en signant ses plats et en étant présent dans son restaurant. « Maintenant, je me sens beaucoup plus libre. J'ai longuement appris les bases. Je peux me lâcher avec des plats spontanés, comme ce quasi de veau froid, son crumble de parmesan et ses girolles au vinaigre ». Camdeborde s'amuse et jongle. Il a toujours du mal avec le miel, l'un des seuls produits qui lui résiste. Il veut juste du poivre et du sel : « Sans eux, je suis sans pantalon, à poil ! » Voilà donc les nouveaux habits de la cuisine.

Le Comptoir du Relais : 9, carrefour de l'Odéon 75006 Paris 01 44 27 07 97

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(photo F.Simon)
  • wakeupjm
    11 novembre 2010 at 11 h 41 min

    C’est pas l’accent landais qu’il a le « camde », c’est l’assent béarnais, avec deux s. Foi de béarnais.

  • rfe
    12 novembre 2010 at 18 h 42 min

    Juste une autre précision à propos de l’ancien propriétaire du restaurant Astier, puis du Villaret, son nom s’écrit : Picquart. L’ami Michel avait d’ailleurs nommé sa société « Trauqcip ».

  • Fraise
    12 novembre 2010 at 22 h 59 min

    Foi de béarnaise il a bien l’assent béarnais « lou pétit » !
    Adishats mounde é hèt béroy !

  • Gargantua
    16 novembre 2010 at 19 h 27 min

    La modernité la vraie .. une équipe qui sait vous dire désolé nous sommes complet avec classe, un Chef qui boit le café en salle avant le service, Une cuisine d’auteur qui maitrise son solfège,une clientèle aux anges bref un restaurant avec de la vie dedans.. Respect.

  • Laser Pointers
    27 janvier 2011 at 3 h 33 min

    La télévision, et sa loupe parfois grotesque, son laser lacrymal, est passée par là. Le monde y est certes parfois à l’envers.