Aimez Amat !

Cet été, je suis allez à Lormont dîner chez Jean Marie Amat, ce fut drôlement bien. J'en ai fait un petit papier mais trop long pour le Figaro de de samedi dernier, voici donc la version in extenso… 

Le lieu est surréaliste : le pont d'Aquitaine déroule son serpentin d'autos comme un arrière plan de journal télévisé, et puis soudain, comme une apparition, le château du Prince Noir. On se frotterait presque les yeux, mais ce soir, les mains feront l'affaire. Vous voici à Lormont (045.56.06.12.52). Et logiquement, vous avez déjà de viné ce qui nous attend. Un des plus grands. Mais en mieux : planqué, presque oublié, intact, on devrait dire miraculé.

D'autres auraient mis en boule leur tablier, agoni trente générations d'abrutis et seraient partis bouder ailleurs. Non, Jean Marie Amat est resté dans son Bordelais. C'est ici qu'il portât effrontément sa croix, celle de la modernité, assénant un Jean Nouvel et ses volets conservés dans la rouille, une Hardley Davidson dans la chambre, une cuisine alerte, avisée. On le lui fit payer cher, très cher cette audace aujourd'hui intégrée de belle lurette. J'entends encore les ricanements satisfaits des repus. Ils sentaient que le siècle allait leur échapper et avant que cela ne se fit, mirent le feu à quelques terriers. Amat qui était alors à Bouillac, au Saint James, dut décamper, déposer le bilan et je me souviens encore de ce cortège de ses employés l'accompagnant au tribunal. J'étais là par hasard et depuis lors je me sens comme de cette tribu volatilisée. Amat est resté. Il butina ici et là dans des bistrots, des maisons au bord du fleuve. Puis se réincarna en Prince Noir, avec l'appui d'un propriétaire avisé et (bien)veillant : Norbert Fradin.

Cet homme aime, entre autres, les belles voitures comme cette <vieille> Maserati garée non loin de là. C'est sans doute pour cela qu'il a du tomber, lui aussi, sous le charme de Jean Marie Amat et de sa cuisine. Celle ci est belle, élégante, racée. Elle file, comme ces cabriolets étirés sous la trace du crayon. Un architecte, Bernard Buhler, a ajouté un cube moderniste au château. Il cadre parfaitement des plats qui filent doux, paisibles mais toujours avec ce chien, cette race qui signe la cuisine Amat : salade de homard comme dans un jardin, filet de bar rôti, tomates du jardi, et purée d'artichauts, enthousiasmant pigeon grillé aux épices, pastilla de cuisse et salade d'herbes, pot au feu de volaille Dangourmau au foie gras…Sa carte est courte (quatre entrées, quatre plats, quatre desserts) mais elle trace, tranche, plaque. Elle ressemble à cette homme qui jamais ne cède, ni ne recule.

Il continue son sillon avec cette placidité amusée, cette ironie tendre qui font de ce restaurant une superbe adresse, bonne et sentimentale. Certes, sur les routes environnantes, il y sans doute des célébrités ou des talents agités, mais la table de Jean marie Ama appartient à cette catégorie un peu absudre, celle des tables un brin éternelles (et qui hélas ne le sont pas), que l'on range dans sa mémoire avec considération et ferté. Alors que,sots que nous sommes, ces cuisines manuscrites, ne demandent qu'à être boulottées, mangées, étripées, blasphémées. Il y a en exergue du bref menu, une superbe phrase de Nietzsche (le Gai Savoir) qui parle parfaitement de cet usage des (bons) restaurants :

Tâtez ma cuisine/demain vous la trouverez meilleure/Après demain vous la louerez/Si vous en redemandez alors/mes vieilles sauces/m'en inspireront de nouvelles.

 

  • BalthazarB
    29 septembre 2011 at 9 h 51 min

    Rincez-le un peu, votre article – il reste un peu trop de coquilles. Cela dit, je garde un souvenir ému d’un court séjour à Bouliac…