3/3. East London, encore quelques mots…

et des adresses

East End,  le retour rugissant

La vie d’une ville ne fonctionne pas toujours de façon statique. Elle bouge, bascule, se retourne comme un chat dans son panier. Elle cherche ainsi ses aises, ses perspectives. A Londres, le quartier East End qui était une zone à fuir, est devenu soudainement attractif, séduisant. Il était infréquentable, le voici sexy, narcissique, ouvert à toutes les cultures et les commerces.

Il doit y avoir un destin des quartiers. Certains ont vocation à être sérieux, le front haut, la mise impeccable. Ce sont les premiers de la classe récoltant les lauriers. Mais aussi  les devoirs. À eux, les beaux bâtiments, les demeures fortunées, les rues manucurées. A Londres, la City, West End assument parfaitement cette fonction. Ils déploient palais royaux, théâtres, demeures fastueuses, grands magasins. Ils s’occupent de tout: faire la vitrine de la ville, entretenir la distinction, la maitresse de maison et l’identité britannique. Les siècles peuvent passer, ils sont là dans leur stoïcisme, leur faconde bourgeoise, leur diction aristocratique. La vie peut rouler ailleurs, ils assument le service vingt quatre heures sur vingt quatre.

Du coup, cela laisse une paix royale aux autres quartiers. Ces derniers peuvent jouer, mal se tenir, rire et danser jusque tard dans la nuit. Eux aussi sont dans leur nature, leur vocation et en cela  l’East End de Londres a un costume taillé sur mesure. Dickens disait déjà : « l’East End de Londres est un monde en soi ». Certes. Mais au delà d’une formule qui renvoie à un charmant truisme, il faudrait presque soulever la couverture de l’histoire pour réaliser que ce quartier délimité par les murailles médiévales de la cité de Londres et le nord de la Tamise vient d’un autre temps. Lui qui nous semble si attrayant aujourd’hui revient pourtant de loin. Quasiment des portes de l’enfer, des entrailles de la terre. Parviendrait-on à imaginer un passé de terreur et de malheur que l’on serait loin de la vérité. On y trouverait Jack L’Eventreur, la racaille, la vie misérable, les  bombardements. Une sorte de chaudron terrible, hallucinant où l’on retrouve pêle-mêle, les industries toxiques (le tannage  qui nécessitent de l’urine, le foulage), un état sanitaire hallucinant, des épidémies ravageuses , des mares pestidancielles, des cochons et des vaches dans les arrières cours, la fabrication des cordes, de la poudre à canon, la fonte de suif ou la préparation de viandes de chat. L’East End, c’était cela avec toute la misère du monde, la surpopulation. On imagine guère d’où vient ce quartier, dans quel état surgit-il au début du XXeme siècle. Comme sonné, éreinté par une histoire sans nom. Et paradoxalement retrouvant une innocence, perdant ses mues successives. Neuf.

Le quartier aura été réinventé, sortie de la glaise et de la peine, pour déposer aujourd’hui un univers coloré, vivant, mais qui ne sera jamais vraiment charmant. C’est la disgrâce rayonnante des rescapés, le sel de la terre sans cesse métissé depuis les réfugiés huguenots, les tisserands irlandais,  les Juifs ashkénazes ,les Bangladais.

l’East End que nous traversons aujourd’hui est comme un galet lisse, lavé par les marées, frottés aux cultures, aux luttes. Même l’accent anglais s‘y trouva frictionné avec ses emprunts multiples (romani, yiddish). Les consonnes et les dentales y passèrent un sale quart d’heure se faisant abraser, glotter. La diphtongue fut joliment malmenée, se laissant brosser comme un rocher sous les vagues. L’accent cockney est né ici avec ses marchands des autre saisons, les luttes ouvrières, les brouillards toxiques et le crachin.

Aujourd’hui, l’East End qui nous est livré est comme un paysage après la pluie. Les couleurs à vif, elles surjouent leurs pigments, le  ciel  est net. Voici les quartiers de Shoreditch, Spitalfields ou Dalston, Hackney, Bethnal Green ou encore Whitechapel.

Avec les investissements massifs  et de spectaculaires travaux, Les Jeux Olympiques de 2012 ont permis au quartier de basculer plus encore en avant. Ils ont bousculés ces zones hésitantes entre une rivière polluée, les chantiers navals désaffectés et les entrepôts. Ils ont fait jaillir sur d’anciens marécages un stade olympique immaculé, un gigantesque centre commercial, modernisé les lignes de train. A présent, elles relient comme le zéphyr le centre avec East End, avec neuf lignes. Même un train -le Javelin Shuttle- a le temps de prendre son élan pour relier comme une flèche Statdford à la gare de St Pancras, le terminal de l’Eurostar.

 

Comme partout en Europe, ces quartiers dont la mode s’amourache se sont gentrifiés. Une nouvelle génération vient se frotter à une vie décomplexée, chamarrée, multiculturelle. Elle s’essaie au fameux « vivre ensemble ». Et souhaitent tout en même temps rester attractif, sans être touristique, la hantise des quartiers séduisants. Les rythmes se sont apaisés, les maisonnettes ont repris des couleurs, le shopping est presque devenu un langage.

À Shoreditch et Dalston, il faut venir en fin de semaine pour se mêler à la foule, aux badauds venus cheniller dans les marchés, pousser les portes des magasins vintage. On ralentit le pas comme si l’esprit de la bohème allait nous gagner depuis l’asphalte. Il est pour autant impalpable traversant les nuits rythmées des dernières musique, prenant son temps le long des chemins de halage  de la rivière Lea. On y pédale, on marche dans Victoria Park, on essaie de briser les rythmes de la vie.

Il faudrait se perdre un petit peu.  « Flâner, dit Honoré de Balzac, c’est la gastronomie de l’oeil ». On pourrait même dire un érotisme, tant Londres devient enfin tactile: friperies, jeans écolos,magasins griffés sur Shoreditch High Street, les fleurs au flower market de Columbia road. On y mange à pleines mains autour des stands de Brick Lane (non loin de la Old Truman Brewrery). L’univers gastronomique devient multiple, joliment nomade. Les propositions sont tellement dans leur nature et leur détermination qu’il est difficile de ne pas résister aux petits plats épicés, aux sandwiches écumant de verdure, aux bagels ventrus, à la crème ourlée d’un cappuccino, la fumée odorante d’un pho. Au bout d’un moment, il y a comme un tourbillons de sensation kitch. La vie ressemble aux spirales des vinyles proposés en plein air, l’Est End est dans son nouveau sillon, mélangeant les repères, les dates, graphitée au street art (Redchurch street), interpellant, riant aux éclats. On se dit alors que le East End est bien vivant, presque rugissant. Les épreuves du temps l’aura parcheminé, solidifié, lui aura même donné cette gouaille, cet appétit féroce de la vie. En cela l’East est un voyage dans le temps.

D’autres adresses dans Hackney

Hackney museum. Musée de proximité gorgé de détails locaux. 1, Reading lane, London E8 1GQ. Tel. 020-8356-2509. www.hackney.gov.uk/museum

– Institute of lights. Complexe alliant boutique, pop up,  petite salle de cinéma et restaurant ghanéen. Arch 376, 10 Helmsley Pl. London E8 3SB. Tel. 020-7249-6919. www.the-institute-of-light.com

– Lyle’s. La cuisine inspirée (et pas donnée) du tandem James Lowe et  John Ogier. Ambiance de cantine foodie.

Tea Building, 56 Shoreditch High street, London E1 6JJ. Tèl. 010-3011-5911.

  • Paper Dress Vintage. Les femmes au rez de chaussée et les messieurs (plus riquiqui) en haut.  Également soirées et yoga. 352 Mare st. E8 1 HR. www.paperdressvintage.co.uk
  • Stranger than Paradise. Au coeur d’un vaste restaurant, une boutique inattendue avec d’excellents vinyles. 117, Mare St. London, E8 4RU.www.starngerthanparadise.com
  • Twopath Café. Au bord du café, le brunch fatal avec les cyclistes slalomant entre les poussettes.  42 de Beauvoir Cres, London N1 5SB. tel. 010-7254-7606.

-Violet.Tout au calme, so résidential, une adorable pâtisserie proposant assiettes et sérénité.

47, Wilton way. London E8 3ED. Tèl. 020-7275-8360. www.violetcakes.com

  • Wringer and Mangle. Solide et vaste adresse étirée dans un entrepôt jouable pour le brunch, après le marché. London Fields, London E8 3SD, Sidworth st.

Séjourner. The Curtain. Dans Shoreditch, base idéale au luxe cosy et contemporain. Chambres petites mais douées, restaurants habiles pour ne plus bouger. 45 Curtain Road, London 2C2A 3PT. Tel 020-3146-4545.. www.thecurtain;com

Venir. Prendre l’ Eurostar, c’est déjà être à Londres. Départs nombreux, attention venir bien avant (45 mn) pour éviter des frayeurs.