2/3. Venise, San Michele, la vie à l’envers

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Des maillots du club de l’Inter de Milan sont en train de sécher sur la tombe d’Helenio Herrera (1916-1997). L’histoire retiendra de cet Argentin, naturalisé français, qu’il joua en France (Charleville, Red Star) mais tient sa réputation comme entraineur. Il est l’inventeur du catenaccio (le verrou) s’appuyant sur une défense renforcée. Ce qui n’est pas sans chagriner sa veuve. Elle habite près du Rialto, le hall de la maison brille des nombreux trophées remportés par son défunt de mari. Certes, il défendait solidement, mais prônait le jeu « vertical », et l’importance des « couloirs ». Pour mieux réunir ses joueurs et les faire se concentrer, il inventa la « mise au vert ». Le voila servi.

Aujourd’hui, à San Michele, on y enterre un ami. Des hommes plongent leur tristesse au fond de leur poche. Mais ce matin, la lumière du printemps rafraichit les yeux. La peine pèse moins.

En poussant la porte du cloitre, on peut rencontrer quelques personnes qui devisent sous la pergola bourgeonnante. Elles appartiennent à l’association (non lucrative) « laguna nel bicchiere ». « Venez » me dit Paola. Elle explique qu’ils sont une bonne centaine à essayer de faire revivre les vignes « oubliées » de Venise. Chaque année, on en produit quelques milliers de bouteilles. Dont le San Michele. Oh, voila un vin bien gentil, sans vague, se la coulant douce, un peu suave, un blanc un peu simplet mais parfait pour les fritures de mer. Attention dit Paola « fresco ma non fredo »; frais oui mais pas froid. Ce qui reste discutable. Le froid ne tue pas les saveurs puisque celles-ci « explosent » alors dans le choc thermique. Longue discussion. Nous sommes dans l’enclos de cet ancien monastère. Aussi grand qu’un (petit) terrain de foot, il disposait  jadis de cent cellules (Centocelle). Frau Mauro y dessina même la première mappemonde (1448), conservée aujourd’hui à la bibliothèque Marciana de Venise. N’y figure pas l’Amérique, comme il se doit. Elle attendra. La carte ronde nous place à l’envers, la tête au sud. Tout autour les bâtiments sont dans un état de délabrement avancé. Des carreaux manquent au fenêtre, des volets ont l’épaule penchée, la poussière sédimente. On a l’impression qu’elle pourrait mordre.  Où trouver l’argent ? On sait le piéger pour réhabiliter des hôtels, mais qui se souciera des églises fermées, des monastères dans leur dernier soupir. Pas grand monde, si ce n’est cette association vaillante, pleine de projets, et finalement bienheureuse sous l’azur complet. Sur la première étiquette du vin, on peut lire: « San Michele, il vino che fa resuscitare i morti ». Pas même besoin de traduction. Elle fut retirée l’année suivante. Tout de même, on a beau trinquer près d’augustes ossements, il convient de garder un peu de retenue.

Celle-là même qu’inspire les sept marches qui mènent à la nouvelle partie contemporaine conçues par David Chipperfield, labyrinthe glabre et puissant et pourtant son calme graphique nous bascule dans la rêverie. Nous sommes alors bien loin comme Jonas dans le ventre de la baleine, au bord de basculer dans l’intra-utérin,  réveiller nos premiers vagissements. Essayez, c’est un peu la vocation des cimetières.

Lorsque l’on reprend le vaporetto pour rejoindre Fondamente Nuove, Venise semble tellement plus légère, avenante. Même le flot touristique vous laisse indifférent, sans vous en rendre compte, vous avez pris quelques encablures, vous voici posé comme sur un nuage. Il y a même comme un encouragement à ne pas céder à sa mélancolie. Curieusement, vous avez même retrouvé cette innocence que l’on croisait sur les photos des sépultures. Après tout, c’est vous que l’on pourrait ainsi saisir dans ce sourire d’après midi, adossé à la pierre vénitienne. Les clochent sonnent encore. Avez vous bien reçu le message: il est grand temps de vivre.

 

demain, notre petit carnet d’adresses…